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de la peine. On vit trop peu. Je crois que le peu de temps que j’ai à pouvoir approcher d’un être tel que vous me fait encore envisager la brièveté de la vie avec plus de chagrin.

Je ne sais ce que c’est que ces vers[1] dont Votre Majesté me parle sur la mort de Mme du Châtelet. Je n’ai rien vu de ce qu’on a publié pour et contre, dans notre nation frivole. Je me borne à regretter dans la retraite un grand homme qui portait des jupes, à respecter sa mémoire, et à ne me point soucier du tout de ses faiblesses de femme[2].

Voici un petit recueil[3] où vous trouverez bien des vers corrigés et arrondis. On n’a jamais fait avec les vers. Quel métier ! Pourquoi faut-il qu’il soit le plus inutile de tous et le plus difficile ?

Je reprends cette lettre, sire, que j’avais commencée il y a quelques jours. Je suis retombé malade. Me voilà à peu près guéri, et je reprends ma lettre. J’avertis Votre Majesté qu’elle n’aura pas sitôt une certaine Rome sauvée. J’ai beaucoup retravaillé cet ouvrage, parce qu’il s’agit de grands hommes que vous connaissez comme si vous aviez vécu avec eux. Quand il s’agit de peindre Rome pour Frédéric le Grand, il y faut un peu d’attention. On va jouer une Électre de ma façon, sous le titre d’Oreste. Je ne sais pas si elle vaudra celle de Crébillon, qui ne vaut pas grand’chose ; mais, du moins, Électre ne sera pas amoureuse, et Oreste ne sera pas galant. Il faut petit à petit défaire le théâtre français des déclarations d’amour, et cesser de


Peindre Caton galant, et Brutus dameret.

(L’Art poët., ch. III, v. 118)

J’ai actuellement un petit procès dont je fais Votre Majesté juge. Mme la duchesse d’Aiguillon croit avoir trouvé un manuscrit du Testament politique du cardinal de Richelieu, et un manuscrit authentique. Je crois la chose impossible, parce que je crois impossible que le cardinal de Richelieu ait écrit ce fatras de puérilités, de contradictions, et de faussetés dont ce testament fourmille. On a estimé cet ouvrage, parce qu’on l’a cru d’un

  1. Voyez la note 1 de la page 83.
  2. Selon les Mémoires de Longchamp (art. xxvi), qu’il faut lire quelquefois avec défiance, Mme du Châtelet, relativement à Voltaire, aurait été infidèle en amitié comme en amour (Cl.)
  3. Recueil de pièces en vers et en prose, par l’auteur de la tragédie de Sémiramis, 1750, in-12, contenant les six premiers Discours sur l’Homme, Memnon, etc. (B.)