Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/587

Cette page a été validée par deux contributeurs.
577
année 1738.

semble que, dans tous les systèmes, Dieu peut avoir accordé à l’homme la faculté de choisir quelquefois entre des idées, de quelque nature que soient ces idées. Je vous avouerai enfin qu’après avoir erré bien longtemps dans ce labyrinthe, après avoir cassé mille fois mon fil, j’en suis revenu à dire que le bien de la société exige que l’homme se croie libre. Nous nous conduisons tous suivant ce principe, et il me paraît un peu étrange d’admettre dans la pratique ce que nous rejetterions dans la spéculation. Je commence, mon cher ami, à faire plus de cas du bonheur de la vie que d’une vérité ; et, si malheureusement le fatalisme était vrai, je ne voudrais pas d’une vérité si cruelle. Pourquoi l’Être souverain, qui m’a donné un entendement qui ne peut se comprendre, ne m’aura-t-il pas donné aussi un peu de liberté ? Nous nous sentons libres. Dieu nous aurait-il trompés tous ? Voilà des arguments de bonne femme. Je suis revenu au sentiment, après m’être égaré dans le raisonnement.

Quant à ce que vous me dites, mon cher ami, de ces rapports infinis du monde dont Locke tire une preuve de l’existence de Dieu, je ne trouve point l’endroit où il le dit.

Mais à tout hasard je crois concevoir votre difficulté ; et sur cela, sans plus de détail, voici mon idée, que je vous soumets.

Je crois que la matière aurait, indépendamment de Dieu, des rapports nécessaires à l’infini, j’appelle ces rapports aveugles, comme rapports de lieu, de distance, de figure, etc. ; mais pour des rapports de dessein, je vous demande pardon. Il me semble qu’un mâle et une femelle, un brin d’herbe et sa semence, sont des démonstrations d’un Être intelligent qui a présidé à l’ouvrage. Or de ces rapports de dessein il y en a à l’infini.

Pour moi, je sens mille rapports qui me font aimer votre cœur et votre esprit, et ce ne sont point des rapports aveugles. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur. Je suis trop de vos amis pour vous faire des compliments.

Mme du Châtelet a la même opinion de vous que moi ; mais vous n’en devez aucun remerciement ni à l’un ni à l’autre.


935. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Remusberg, 14 septembre.

Mon cher ami, je viens de recevoir dans ce moment votre lettre du… août[1], qui, par malheur, arrive après coup. Il y a plus de quinze jours que nous

  1. Ce doit être la lettre datée du 5 août, no 915.