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à rien, et qui est unique comme lui. Ce système[1] est en deux gros tomes. Je connais un homme intrépide qui a osé approcher de ces terribles mystères : ce qu’il m’en a fait voir est incroyable. Il m’a montré (liv. V, chap. iii, iv, et v) que ce sont « les hommes qui entretiennent le mouvement dans l’univers, et tout le mécanisme de la nature ; et que, s’il n’y avait point d’hommes, toute la machine se déconcerterait ». Il m’a fait voir de petits tourbillons, des roues engrenées les unes dans les autres, ce qui fait un effet charmant, et en quoi consiste tout le jeu des ressorts du monde. Quelle a été mon admiration quand j’ai vu (p. 309, part. II) ce beau titre : « Dieu a créé la nature, et la nature a créé le monde ! »

Il ne pense jamais comme le vulgaire. Nous avions cru, jusqu’ici, sur le rapport de nos sens trompeurs, que le feu tend toujours à s’élever dans l’air ; mais il emploie trois chapitres à prouver qu’il tend en bas. Il combat généreusement une des plus belles démonstrations de Newton[2]. Il avoue qu’en effet il y a quelque vérité dans cette démonstration ; mais, semblable à un Irlandais célèbre dans les écoles, il dit : Hoc fateor, verum contra sic argumentor. Il est vrai qu’on lui a prouvé que son raisonnement contre la démonstration de Newton était un sophisme ; mais, comme dit M. de Fontenelle, les hommes se trompent, et les grands hommes avouent qu’ils se sont trompés. Vous voyez bien, monsieur, qu’il ne manque rien au révérend Père qu’un petit aveu pour être grand homme. Il porte partout la sagacité de son génie, sans jamais s’éloigner de sa sphère. Il parle de la folie (chap. vii, liv. V), et il dit que les organes du cerveau d’un fou sont « une ligne courbe et l’expression géométrique d’une équation ». Quelle intelligence ! Ne croirait-on pas voir un homme opulent qui calcule son bien ?

En effet, monsieur, ne reconnaît-on pas à ses idées, à son style, un homme extrêmement versé dans ces matières ? Savez-vous bien que, dans sa Mathématique universelle, il dit que ce que l’on appelle le plus grand angle est réellement le plus petit, et que l’angle aigu, au contraire, est le plus grand ; c’est-à-dire il prétend que le contenu est plus grand que le contenant : chose merveilleuse comme bien d’autres !

Savez-vous encore qu’en parlant de l’évanouissement des

  1. Intitulé Traité de la Pesanteur universelle, 1724, 2 vol. in-12.
  2. C’est la proposition dans laquelle Newton démontre, par la méthode des fluxions, que tout corps mu en une courbe quelconque, s’il parcourt des aires égales, dans des temps égaux, tend vers un centre, et vice versa. (Note de Voltaire.)