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ce que vous aurez de moi, cette fois-ci, pour le département poétique ; mais le département de la métaphysique m’embarrasse beaucoup.

La lettre du 17 lévrier, de Votre Altesse royale, est en vérité un chef-d’œuvre. Je regarde ces deux lettres[1] sur la Liberté comme ce que j’ai vu de plus fort, de mieux lié, de plus conséquent, sur ces matières. Vous avez certainement bien des grâces à rendre à la nature de vous avoir donné un génie qui vous fait roi dans le monde intellectuel, avant que vous le soyez dans ce misérable monde composé de passions, de grimaces, et d’extérieur. J’avais déjà beaucoup de respect pour l’opinion de la fatalité, quoique ce ne soit pas la mienne : car en nageant dans cette mer d’incertitudes, et n’ayant qu’une petite branche où je me tiens, je me donne bien de garde de reprocher à mes compagnons les nageurs que leur petite branche est trop faible. Je suis fort aise, si mon roseau vient à casser, que mon voisin puisse me prêter le sien. Je respecte bien davantage l’opinion que j’ai combattue, depuis que Votre Altesse royale l’a mise dans un si beau jour ; me permettra-t-elle de lui exposer encore mes scrupules ?

Je me bornerai, pour ne pas ennuyer le Marc-Aurèle d’Allemagne, à deux idées qui me frappent encore vivement, et sur lesquelles je le supplie de daigner m’éclairer.

Plus je m’examine, plus je me crois libre (en plusieurs cas) ; c’est un sentiment que tous les hommes ont comme moi ; c’est le principe invariable de notre conduite. Les plus outrés partisans de la fatalité absolue se gouvernent tous suivant les principes de la Liberté. Or, je leur demande comment ils peuvent raisonner et agir d’une manière si contradictoire, et ce qu’il y a à gagner à se regarder comme des tournebroches, lorsqu’on agit toujours comme un être libre ? Je leur demande encore par quelle raison l’auteur de la nature leur a donné ce sentiment de liberté, s’ils ne l’ont point ? Pourquoi cette imposture dans l’Être qui est la vérité même ? De bonne foi, trouve-t-on une solution à ce problème ? Répondre que Dieu ne nous a pas dit : Vous êtes libres, n’est pas une défaite ? Dieu ne nous a pas dit que nous sommes libres, sans doute, car il ne daigne pas nous parler ; mais il a mis dans nos cœurs un sentiment que rien ne peut affaiblir, et c’est là pour nous la voix de Dieu. Tous nos autres sentiments sont vrais. Il ne nous trompe point dans le désir que

  1. Les lettres 807 et 828.