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profit de cette ode ; elle va très-bien à mon état de langueur. Le remède opère sur moi tout aussi bien que sur votre goutteux, car je me tiens tout aussi philosophe que lui. Je sens comme lui le prix de vos vers, et je trouve, comme lui, dans les lettres de Votre Altesse royale, un charme contre tous les maux.

Vous aimez Keyserlingk, et vous prenez le soin
De l’exhorter à patience ;
Ah ! quand nous vous lisons, grâce à votre éloquence,
D’une telle vertu nous n’avons pas besoin.

Puisque vous daignez, monseigneur, amuser votre loisir par des vers, voici donc la troisième Èpître sur le Bonheur, que je prends la liberté de vous envoyer. Le sujet de cette troisième Épître est l’Envie[1], passion que je voudrais bien que Votre Altesse royale inspirât à tous les rois. Je vous envoie de mes vers, monseigneur, et vous m’honorez des vôtres. Cela me fait souvenir du commerce perpétuel qu’Hésiode dit que la terre entretient avec le ciel : elle envoie des vapeurs ; les dieux rendent de la rosée. Grand merci de votre rosée, monseigneur ; mais ma pauvre terre sera incessamment en friche. Les maladies me minent, et rendront bientôt mon champ aride ; mais ma dernière moisson sera pour vous.

Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem,
Pauca Federico
· · · · · · · · · · · · · · ·

(Virg., cc. x, v. 1.)

J’ai pourtant dans mon lit fait deux nouveaux actes, à la place des deux derniers de Mérope, qui m’ont paru trop languissants. Quand Votre Altesse royale voudra voir le fruit de ses avis dans ces deux nouveaux actes, j’aurai l’honneur de les lui envoyer. J’ai bien à cœur de donner une pièce tragique qui ne soit point enjolivée d’une intrigue d’amour, et qui mérite d’être lue ; je rendrais par là quelque service au théâtre français, qui, en vérité, est trop galant. Cette pièce est sans amour : la première que j’aurai l’honneur d’envoyer à Remusberg méritera pour titre : De Remedio amoris[2]. Ce n’est pas que je n’aie assurément un profond respect pour l’amour et pour tout ce qui lui appartient ; mais qu’il se soit emparé entièrement de la tragédie, c’est une usurpation de notre souverain ; et je protesterai au moins contre l’usurpation, ne pouvant mieux faire. Voilà, monseigneur, tout

  1. Voyez, tome IX, le troisième des Discours sur l’Homme.
  2. C’est le titre d’un poëme d’Ovide.