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le style de Thomas Corneille est si faible qu’il fait tout languir, et une pièce mal écrite ne peut jamais être une bonne pièce.

Vous donneriez, à mon gré, une louange médiocre au nouvel auteur, si sa tragédie n’était pas mieux écrite que l’Hèraclius de Pierre Corneille, dont vous me parlez. Je vous avoue que le style de cet ouvrage m’a toujours surpris par la dureté, le galimatias, et le familier qui y règne. Je ne connais guère de beau dans Heraclius que ce morceau qui vaut seul une pièce :

malheureux Phocas ! ô trop heureux Maurice ! etc.

(Acte IV, scène iv.)

D’ailleurs, l’insipidité de la partie carrée entre Léonce et Pulchérie, Héraclius et Léontine, et les malheureux raisonnements d’amour en vers très-bourgeois dont tout cela est farci, m’ont excédé toujours, et terriblement ennuyé. Je sais bien que Despréaux avait en vue Hèraclius dans ces vers :

Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D’un divertissement me fait une fatigue.

(L’Art poét., ch. III, v. 51.)

Je n’ai point vu la Mètromanie ; mais on peut hardiment juger de l’ouvrage par l’auteur.

Voici une lettre[1] pour notre prince. Adieu ; vous devriez bien venir nous voir avec ces Denis[2].


841. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Cirey, le 8 mars.

Monseigneur, le plus zélé de vos admirateurs n’est pas le plus assidu de vos correspondants. La raison en est qu’il est le plus malade, et que très-souvent la fièvre le prend quand il voudrait passer ses plus agréables heures à avoir l’honneur d’écrire à Votre Altesse royale.

Nous avons reçu votre belle prose du 19 février, et vos vers pour Mme  la marquise du Châtelet, qui est confondue, charmée, et qui ne sait comment répondre à ces agaceries si séduisantes ; et avec votre lettre du 27, l’Ode sur la Patience, par laquelle votre muse royale adoucit les maux de M. de Keyserlingk. J’ai fait mon

  1. Celle qui suit immédiatement.
  2. M. et Mme  Denis passèrent quelques jours à Cirey, dans le mois d’avril suivant. (Cl.)