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Et de l’insensé jusqu’au sage,
S’il juge de son propre ouvrage,
Par l’amour-propre il est séduit.

Vous n’oublierez pas de faire mille assurances d’estime à la marquise du Châtelet, dont l’esprit ingénieux a bien voulu se faire connaître par un petit échantillon[1]. Ce n’est qu’un rayon de ce soleil qui s’est fait apercevoir à travers les nuages ; que ne doit-ce point être lorsqu’on le voit sans voiles ! Peut-être faut-il que la marquise cache son esprit, comme Moïse voilait son visage[2], parce que le peuple d’Israël n’en pouvait supporter la clarté. Quand même j’en perdrais la vue, il faut, avant de mourir, que je voie cette terre de Chanaan, ce pays des sages, ce paradis terrestre. Comptez sur l’estime parfaite et l’amitié inviolable avec laquelle je suis, monsieur, votre très-affectionné ami,

Fédéric

836. — À M. BERGER.
À Cirey, février.

Vous avez grande raison assurément, monsieur, de vouloir me développer l’histoire de Constantin : car c’est une énigme que je n’ai jamais pu comprendre, non plus qu’une infinité d’autres traits d’histoire. Je n’ai jamais bien concilié les louanges excessives que tous nos auteurs ecclésiastiques, toujours très-justes et très-modérés, ont prodiguées à ce prince, avec les vices et les crimes dont toute sa vie a été souillée. Meurtrier de sa femme, de son beau-père, plongé dans la mollesse, entêté à l’excès du faste, soupçonneux, superstitieux : voilà les traits sous lesquels je le connais[3]. L’histoire de sa femme Fausta et de son fils Crispus était un très-beau sujet de tragédie ; mais c’était Phèdre sous d’autres noms. Ses démêlés avec Maximien-Hercule, et son extrême ingratitude envers lui, ont déjà fourni une tragédie à Thomas Corneille, qui a traité à sa manière la prétendue conspiration de Maximien-Hercule. Fausta se trouve, dans cette pièce, entre son mari et son père ; ce qui produit des situations fort touchantes. Le complot est très-intrigué, et c’est une de ces pièces dans le goût de Camma et de Timocrate[4]. Elle eut beaucoup de succès dans son temps ; mais elle est tombée dans l’oubli, avec presque toutes les pièces de Thomas Corneille, parce que

  1. Cette épître de Mme  du Châtelet au prince royal était l’ouvrage de Voltaire : voyez une note sur la lettre 790.
  2. Exode, XXXIV, 33, 35.
  3. Voyez, tome IX le chant V de la Pucelle, v. 110.
  4. Tragédies de Thomas Corneille.