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tend souvent trop loin. Les absurdités et les contradictions qui se rencontrent de toutes parts donnent sans fin naissance au pyrrhonisme ; et, à force d’imaginer, on ne parle qu’à son imagination. Après tout, je tiens pour une vérité incontestable et certaine le plaisir et l’admiration que vous me causez. Ce n’est point une illusion des sens, un préjugé frivole, mais une parfaite connaissance de l’homme le plus aimable du monde.

Je m’en vais rayer toutes les trompettes, corriger, changer, et me peiner, jusqu’à ce que vos remarques soient éludées. Mérope ne sort point de mes mains : c’est une vierge dont je garde l’honneur. Je suis avec une très-parfaite estime, monsieur, votre très-fidelement affectionné ami,

Fédéric

830. — JORE AU LIEUTENANT GENERAL DE POLICE[1].
1738.

Je suis trop pénétré de votre justice pour rien appréhender en vous la demandant de vous-même, si vous voulez bien prendre la peine de jeter les yeux sur les raisons qui m’y autorisent et que vos continuelles occupations vous ont sans doute fait mettre en oubli. Lorsque j’eus fait assigner Voltaire pour me payer les quatorze cents livres cinq sols qu’il me doit, vous voulûtes bien, à sa prière, arrêter le cours de la procédure, persuadé que ma demande était injuste. Mais, détrompé par le Mémoire que je rendis public, vous me fîtes consentir aux mille livres qu’il m’avait offertes, et dont vous vous rendîtes garant. Je ne balançai pas de m’y soumettre ; vous m’assurâtes, monseigneur, que ce consentement opérerait mon rétablissement, que vous en faisiez votre affaire. Lorsque je me présentai pour toucher le payement, vous m’apprîtes qu’il y avait un jugement rendu par M. de Maurepas qui me déboutait de ma demande, en condamnant Voltaire en cinq cents livres d’aumônes. Je l’appris de votre bouche et le reçus avec soumission, et vous eûtes la bonté de me renouveler encore la certitude de mon rétablissement. Voilà deux ans que je me repose sur l’honneur de votre protection sans voir finir mes peines. L’opposition de M. Pont-Carré a formé un obstacle que son consentement a dû faire lever. Cependant je me vois tout à la fois privé de mon dû et sans être rétabli, et par conséquent sans savoir où donner de la tête, sans pain pour moi-même et sans en pouvoir procurer à mes enfants. Si la grâce de mon rétablissement est surnaturelle, votre crédit, monseigneur, peut me procurer quelque emploi pour me faire subsister et ma famille. Vous me mettez en situation de pouvoir vous adresser ces paroles du prophète-roi : In te, Domine, speravi ; non confundar in æternum.. Qu’elles aient leur effet, je m’en rendrai digne, et vous en aurai une éternelle reconnaissance.

  1. Publiée par M. Léouzon Leduc. Cette lettre est indispensable pour l’intelligence de plusieurs de celles qui suivront.