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nécessité absolue, j’avoue que je suis à bout, que je n’ai rien à répondre, et que tous les philosophes qui ont voulu concilier les futurs contingents avec la prescience de Dieu ont été de bien mauvais négociateurs. Il y en a d’assez déterminés pour dire que Dieu peut fort bien ignorer des futurs contingents, à peu près, s’il m’est permis de parler ainsi, comme un roi peut ignorer ce que fera un général à qui il aura donné carte blanche.

Ces gens-là vont encore plus loin : ils soutiennent que, non-seulement ce ne serait point une imperfection dans un être suprême d’ignorer ce que doivent faire librement des créatures qu’il a faites libres, et qu’au contraire il semble plus digne de l’Être suprême de créer des êtres semblables à lui, semblables, dis-je, en ce qu’ils pensent, qu’ils veulent, et qu’ils agissent, que de créer simplement des machines.

Ils ajouteront que Dieu ne peut faire des contradictions, et que peut-être il y aurait de la contradiction à prévoir ce que doivent faire ses créatures, et à leur communiquer cependant le pouvoir de faire le pour et le contre. Car, diront-ils, la liberté consiste à pouvoir agir ou ne pas agir : donc, si Dieu sait précisément que l’un des deux : arrivera, l’autre, dès lors, devient impossible ; donc plus de liberté. Or ces gens-là admettent une liberté : donc, selon eux, en admettant la prescience, ce serait une contradiction dans les termes.

Enfin ils soutiendront que Dieu doit ignorer ce qu’il est de sa nature d’ignorer, et ils oseront dire qu’il est de sa nature d’ignorer tout futur contingent, et qu’il ne doit point savoir ce qui n’est pas.

Ne se peut-il pas très-bien faire, disent-ils, que du même fonds de sagesse dont Dieu prévoit à jamais les choses nécessaires, il ignore aussi les choses libres ? En serait-il moins le créateur de toutes choses, et des agents libres, et des êtres purement passifs ?

Qui nous a dit, continueront-ils, que ce ne serait pas une assez grande satisfaction pour Dieu de voir comment tant d’êtres libres, qu’il a créés dans tant de globes, agissent librement ? Ce plaisir, toujours nouveau, de voir comment ses créatures se servent à tous moments des instruments qu’il leur a donnés, ne vaut-il pas bien celle éternelle et oisive contemplation de soi-même, assez incompatible avec les occupations extérieures qu’on lui donne ?

On objecte à ces raisonneurs-là que Dieu voit en un instant l’avenir, le passé et le présent ; que l’éternité est instantanée pour