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Adieu, mon cher ami, portez-vous bien ; écrivez-moi quelquefois. Je n’ai pas le temps d’écrire à Berger, parce qu’on part dans la minute. Je vous prie de lui faire mes excuses et de l’assurer de ma tendre amitié,


819. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
23 janvier[1].

Je reçois de Berlin une lettre du 26 décembre ; elle contient deux grands articles : un, plein de bonté, de tendresse et d’attention à m’accabler des bienfaits les plus flatteurs ; le second article est un ouvrage bien fort de métapbysique. On croirait que cette lettre est de M. Leibnitz, ou de M. Wolff à quelqu’un de ses amis ; mais elle est signée Fèdèric. C’est un des prodiges de votre âme, monseigneur ; Votre Altesse royale remplit avec moi tout son caractère. Elle me lave d’une calomnie ; elle daigne protéger mon honneur contre l’envie, et elle donne des lumières à mon âme.

Je vais donc me jeter dans la nuit de la métaphysique pour oser combattre contre les Leibnitz, les Wolff, les Frédéric. Me voilà, comme Ajax, ferraillant dans l’obscurité ; et je vous crie :

Grand Dieu, rends-nous le jour, et combats contre nous[2] !

Mais, avant d’oser entrer en lice, je vais faire transcrire, pour mettre dans un paquet, deux Épîtres qui sont le commencement d’une espèce de système de morale que j’avais commencé il y a un an. Il y a quatre Épîtres[3] de faites. Voici les deux premières : l’une roule sur l’Égalité des conditions, l’autre sur la Liberté. Cela est peut-être fort impertinent à moi, atome de Cirey, de dire à une tête presque couronnée que les hommes sont égaux, et d’envoyer des injures rimées, contre les partisans du fatum, à un philosophe qui prête un appui si puissant à ce système de la nécessité absolue.

Mais ces deux témérités de ma part prouvent combien Votre Altesse royale est bonne. Elle ne gêne point les consciences. Elle permet qu’on dispute contre elle ; c’est l’ange qui daigne lutter contre Israël. J’en resterai boiteux[4], mais n’importe ; je veux avoir l’honneur de me battre.

  1. La réponse à cette lettre est du 17 février suivant.
  2. Ce vers appartient à l’Iliade traduite par Houdard de Lamotte. Voyez l’Iliade liv. XVII, v. 645, dans l’original.
  3. Voyez, tome IX, les quatre premiers des Discours sur l’Homme.
  4. Genèse, XXXII, 25.