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moderne. D’où vient, je vous prie, que l’on veut parler et qu’on aime à rajeunir la langue contemporaine de ces modes qu’on ne peut plus souffrir ? Et, ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que cette langue est peu entendue à présent ; que celle qu’on parle de nos jours est beaucoup plus correcte et beaucoup meilleure, qu’elle est susceptible de toute la naïveté de celle de Marot, et qu’elle a des beautés auxquelles l’autre n’osera jamais prétendre. Ce sont là, selon moi, des effets du mauvais goût et de la bizarrerie des caprices. Il faut avouer que l’esprit humain est une étrange chose !

Me voilà sur le point de m’en retourner chez moi, pour me vouer à l’étude, et pour reprendre la philosophie, l’histoire, la poésie, et la musique. Pour la géométrie, je vous avoue que je la crains : elle sèche trop l’esprit. Nous autres Allemands ne l’avons que trop sec ; c’est un terrain ingrat qu’il faut cultiver, arroser sans cesse pour qu’il produise.

Assurez la marquise du Châtelet de toute mon estime ; dites à Émilie que je l’admire au possible. Pour vous, monsieur, vous devez être persuadé de l’estime parfaite que j’ai pour vous. Je vous le répète encore, je vous estimerai tant que je vivrai, étant, avec ces sentiments d’amitié que vous savez inspirer à tous ceux qui vous connaissent, monsieur, votre très-fidèlement affectionné ami,

Fédéric

816. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Janvier.

Monseigneur, Votre Altesse royale a dû recevoir une réponse[1] de Mme la marquise du Châtelet, par la voie de M. Plötz ; mais comme M. Plötz ne nous accuse ni la réception de cette lettre, ni celle d’un assez gros paquet que je lui avais adressé, huit jours auparavant, pour Votre Altesse royale, je prends la liberté d’écrire cette fois par la voie de M. Thieriot.

Je vous avais mandée[2] monseigneur, que j’avais, du premier coup d’œil, donné la préférence à l’Épître sur la Retraite, à cette description aimable du loisir occupé dont vous jouissez ; mais j’ai bien peur aujourd’hui de me rétracter. Je ne trouve aucune faute contre la langue dans l’Épître à Pesne[3], et tout y respire le bon goût. C’est le peintre de la raison qui écrit au peintre ordinaire. Je peux vous assurer, monseigneur, que les six derniers vers, par exemple, sont un chef-d’œuvre :

Abandonne tes saints entourés de rayons ;
Sur des sujets brillants exerce tes crayons ;

  1. Voyez une note sur la lettre 790.
  2. Voyez la lettre 814.
  3. Pesne était un peintre que Voltaire nomme dans sa lettre du 2 décembre 1751, à Mme Denis.