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nier à vous avertir des soupçons injurieux qu’on aurait conçus contre vous, si le fait avait existé ? Vous me connaissez bien mal, et vous n’avez qu’une faible idée de mon amitié. Sachez que j’ai pris sur moi le soin de votre réputation. Je fais ici l’office de votre Renommée. Vous m’entendez, et vous comprenez bien que je ne prétends dire autre chose, sinon que je me suis chargé de défendre votre réputation contre les préjugés des ignorants, et contre la calomnie de vos envieux. Je réponds de vous corps pour corps ; et j’emploie arguments, exemples, et vos ouvrages mêmes, pour vous faire des prosélytes. Je peux me flatter d’avoir assez bien réussi, quoique je ne m’attribue aucun autre mérite que celui de vous avoir véritablement fait connaître de mes compatriotes. Je vous prie, monsieur, de vous tranquilliser désormais, et d’attendre que je vous donne le signal pour prendre l’alarme.

J’ai oublié de vous dire que l’officier dont Thieriot fait mention n’est point de mon régiment, et passe dans l’armée pour un homme peu véridique : ce qui peut d’autant plus vous ôter tout sujet d’inquiétude.

J’ai reçu votre chapitre de métaphysique sur la liberté, et je suis mortifié de vous dire que je ne suis pas entièrement de votre sentiment. Je fonde mon système sur ce qu’on ne doit pas renoncer volontairement aux connaissances qu’on peut acquérir par le raisonnement. Cela posé, je fais mes efforts pour connaître de Dieu tout ce qui m’est possible, à quoi la voie de l’analogie ne m’est pas d’un faible secours. Je vois premièrement qu’un Être créateur doit être sage et puissant. Comme sage il a voulu, dans son intelligence éternelle, le plan du monde ; et comme tout-puissant il l’a exécuté.

De là il s’ensuit nécessairement que l’Auteur de cet univers doit avoir eu un but en le créant. S’il a eu un but, il faut que tous les événements y concourent. Si tous les événements y concourent, il faut que tous les hommes agissent conformément au dessein du Créateur, et qu’ils ne se déterminent à toutes leurs actions que suivant les lois immuables de ses desseins, auxquelles ils obéissent en les ignorant ; sans quoi Dieu serait spectateur oisif de la nature ; le monde se gouvernerait suivant le caprice des hommes, et celui dont la puissance a formé l’univers serait inutile depuis que de faibles mortels l’ont peuplé. Je vous avoue que, puisqu’il faut opter entre faire un être passif ou du Créateur ou de la créature, je me détermine en faveur de Dieu. Il est plus naturel que ce Dieu fasse tout, et que l’homme soit l’instrument de sa volonté, que de se figurer un Dieu qui crée un monde, qui le peuple d’hommes, pour ensuite rester les bras croisés, et asservir sa volonté et sa puissance à la bizarrerie de l’esprit humain. Il me semble voir un Américain ou quelque sauvage qui voit pour la première fois une montre ; il croira que l’aiguille qui montre les heures a la liberté de se tourner d’elle-même, et il ne soupçonnera pas seulement qu’il y a des ressorts cachés qui la font mouvoir ; bien moins encore, que l’horloger l’a faite à dessein qu’elle fasse précisément le mouvement auquel elle est assujettie. Dieu est cet horloger. Les ressorts dont il nous a composes sont infiniment plus subtils, plus déliés et plus variés que ceux de la montre. L’homme est capable de beaucoup de choses ; et, comme l’art est plus caché en nous, et que le principe qui nous meut est invisible, nous nous attachons à ce qui