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plus coupable que le frère. Je suis d’autant plus affligé que Linant semblait vouloir travailler. Il reprenait sa tragédie[1] à cœur ; je m’y intéressais ; je le faisais travailler : il me serait devenu cher à mesure qu’il eût cultivé son talent ; mais il ne m’est plus permis de conserver avec lui le moindre commerce.

Mon cher ami, cette lettre est une jérémiade. Je pleure sur les hommes ; mais je me console, car il y a des Émilies et des Cidevilles.


806. — À M. DE FORMONT.
À Cirey, le 23 décembre.

 
À mon très-cher ami Formont,
Demeurant sur le double mont,
Au-dessus de Vincent Voiture,
Vers la taverne où Bachaumont
Buvait et chantait sans mesure,
Où le plaisir et la raison
Ramenaient le temps d’Épicure.

Vous voulez donc que des filets
De l’abstraite philosophie
Je revole au brillant palais
De l’agréable poésie,
Au pays où règnent Thalie,
Et le cothurne, et les sifflets.
Mon ami, je vous remercie
D’un conseil si doux et si sain.
Vous le voulez ; je cède enfin
À ce conseil, à mon destin ;
Je vais de folie en folie,
Ainsi qu’on voit une catin
Passer du guerrier au robin.
Au gras prieur d’une abbaye.
Au courtisan, au citadin.
Ou bien, si vous voulez encore.
Ainsi qu’une abeille au matin
Va sucer les pleurs de l’Aurore
Ou sur l’absinthe ou sur le thym.
Toujours travaille, et toujours cause,
Et nous pétrit son miel divin
Des gratte-culs et de la rose.

  1. Celle de Ramessès, dont Voltaire lui avait donné le sujet en 1733.