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Assez énoncé, détaillé
De Louis l’histoire authentique[1] ?
N’as-tu pas encore rimaillé
Récemment une œuvre tragique[2] ?
Seras-tu sans cesse embrouillé
De vers et de mathématique ?
Renonce plutôt à Newton,
À Sophocle, aux vers de Virgile,
À tous les maîtres d’Hélicon ;
Mais sois fidèle à Cideville. »

J’ai répondu du même ton :
« Ô ma patronne ! ô ma déesse !
Cideville est le plus beau don
Que je tienne de ta tendresse ;
Il est lui seul mon Apollon,
C’est lui dont je veux le suffrage ;
Pour lui mon esprit tout entier
S’occupait d’un trop long ouvrage ;
Et si j’ai paru l’oublier.
C’est pour lui plaire davantage. »

Voilà une de mes excuses, mon cher Cideville, et cette excuse vous arrivera incessamment par le coche. C’est une tragédie : c’est Mérope, tragédie sans amour, et qui peut-être n’en est que plus tendre. Vous en jugerez, vous qui avez un cœur si bon et si sensible, vous qui seriez le plus tendre des pères comme vous avez été le meilleur des fils, et comme vous êtes le plus fidèle ami et le plus sensible des amants.

Une autre excuse bien cruelle de mon long silence, c’est que la calomnie, qui m’a persécuté si indignement, m’a forcé enfin de rompre tout commerce avec mes meilleurs amis pendant une année. On ouvrait toutes mes lettres, on empoisonnait ce qu’elles avaient de plus innocent ; et des personnes qui avaient apparemment juré ma perte en faisaient des extraits odieux qu’ils portaient jusqu’aux ministres, dans l’occasion. J’avais cru apaiser la rage de ces persécuteurs en faisant un tour en Hollande ; ils m’y ont poursuivi. Rousseau, entre autres, ce monstre né pour calomnier, écrivit que j’étais venu en Hollande prêcher contre la religion, que j’avais tenu école de déisme chez M. S’Gravesande, fameux philosophe de Hollande. Il fallut que M. S’Gravesande

  1. Le Siècle de Louis XIV, voyez tomes XIV et XV.
  2. Mérope.