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L’exemple de l’incomparable Émilie m’anime et m’encourage à l’étude. J’implore le secours des deux divinités de Cirey, pour m’aider à surmonter les difficultés qui s’offrent dans mon chemin. Vous êtes mes lares et mes dieux tutélaires, qui présidéz dans mon Lycée et dans mon Académie.

La sublime Émilie et le divin Voltaire
Sont de ces présents précieux
Qu’en mille ans, une fois ou deux,
Daignent faire les cieux pour honorer la terre.

Il n’y a que Césarion qui puisse vous avoir communiqué les pièces de ma musique. Je crains fort que des oreilles françaises n’aient guère été flattées par des sons italiques, et qu’un art qui touche que les sens puisse plaire à des personnes qui trouvent tant de charmes dans des plaisirs intellectuels. Si cependant il se pouvait que ma musique eût eu votre approbation, je m’engagerais volontiers à chatouiller vos oreilles, pourvu que vous ne vous lassiez pas de m’instruire.

Je vous prie de saluer de ma part la divine Émilie, et de l’assurer de mon admiration. Si les hommes sont estimables de fouler aux pieds les préjugés et les erreurs, les femmes le sont encore davantage, parce qu’elles ont plus de chemin à faire avant que d’en venir là, et qu’il faut qu’elles détruisent plus que nous avant de pouvoir édifier. Que la marquise du Châtelet est louable d’avoir préféré l’amour de la vérité aux illusions des sens, et d’abandonner les plaisirs faux et passagers de ce monde pour s’adonner entièrement à la recherche de la philosophie la plus sublime !

On ne saurait réfuter M. Wolff plus poliment que vous le faites. Vous rendez justice à ce grand homme, et vous marquez en même temps les endroits faibles de son système ; mais c’est un défaut commun à tout système, d’avoir un côté moins fortifié que le reste. Les ouvrages des hommes se ressentiront toujours de l’humanité ; et ce n’est pas de leur esprit qu’il faut attendre des productions parfaites. En vain les philosophes combattront-ils l’erreur ; cette hydre ne se laisse point abattre ; il y parait toujours de nouvelles têtes, à mesure qu’on les a terrassées. En un mot, le système qui contient le moins de contradictions, le moins d’impertinences, et les absurdités les moins grossières, doit être regardé comme le meilleur.

Nous ne saurions exiger, avec justice, que messieurs les métaphysiciens nous donnent une carte exacte de leur empire. On serait bien embarrassé de faire la description d’un pays que l’on n’a jamais vu, dont on n’a aucune nouvelle, et qui est inaccessible. Aussi ces messieurs ne font-ils que ce qu’ils peuvent. Ils nous débitent leurs romans dans l’ordre le plus géométrique qu’ils ont pu imaginer ; et leurs raisonnements, semblables à des toiles d’araignée, sont d’une subtilité presque imperceptible. Si les Descartes, les Locke, les Newton, les Wolff, n’ont pu deviner le mot de l’énigme, il est à croire, et l’on peut même affirmer, que la postérité ne sera pas plus heureuse que nous en ses découvertes.

Vous avez considéré ces systèmes en sage ; et vous en avez vu l’insuffisance, et vous y avez ajouté des réflexions très-judicieuses. Mais ce trésor