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drais bien l’avoir auprès de moi, aussi bien que sa sœur[1]. Vous pourriez leur en inspirer l’envie ; elles ne se repentiraient pas du voyage.

Mandez-moi donc des nouvelles de votre Sallé, de vos plaisirs, de tout ce qui vous regarde, et de nos amis, que j’embrasse en bonne fortune[2]. Adieu, mon très-cher ami, que j’aimerai toujours.


787. — À M. THIERIOT.
Novembre.

Je n’ai reçu qu’aujourd’hui votre lettre du 22, mon cher ami. La route est plus longue, mais plus sûre. Nos cœurs peuvent se parler, et voilà ce que je voulais.

Premièrement, je ne vous crois point instruit de la raison qui m’a obligé ; à me priver si longtemps du commerce de mes amis ; mais je crois enfin pouvoir vous la dire. Savez-vous bien qu’on avait accusé plusieurs personnes[3] d’athéisme ? Savez-vous bien que vous étiez du nombre ? Je n’en dirai pas plus. Ah ! mon ami, que nous sommes loin de mériter cette sotte et abominable accusation ! Il est au moins de notre intérêt qu’il y ait un Dieu, et qu’il punisse ces monstres de la société, ces scélérats qui se font un jeu de la plus damnable imposture.

À l’égard de la nouvelle calomnie dont vous me parlez, j’ai cru devoir en écrire à Son Altesse royale[4]. Je vous instruis de cette démarche, afin que vous vous y conformiez, et que vous m’éclairiez, en cas que cette impertinence continue. Le roi de Prusse, avec de grands États, beaucoup d’argent comptant, et une armée de géants, peut très-hien se moquer d’un sot libelle ;

Mais moi chétif, qui ne suis roi, ni rien[5],

je tremble toujours de la calomnie, quelque absurde qu’elle soit, et je suis comme le lièvre[6], qui craignait qu’on ne prit ses oreilles pour des cornes

  1. Marie-Élizabeth Mignot, née vers 1715, mariée en juin 1738 à M. de Dompierre de Fontaine, veuve en 1756, remariée en 1762 au marquis de Florian, morte en février 1771.
  2. Voltaire, persécuté alors comme athée par des gens qui ne croyaient qu’au diable, désirait qu’on le crût à Cambridge, et non à Cirey. (Cl.)
  3. La première de ces personnes était Voltaire. (Cl.)
  4. Voyez la lettre 782.
  5. Ce vers est le cinquième d’une épître adressée à François Ier, en 1534, par Clément. Marot.
  6. La Fontaine, livre V, fable iv.