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CORRESPONDANCE.

Vous l’instruirez mieux que je ne le ferais touchant cet ouvrage. Vous lui direz qu’ayant commencé l’édition en Hollande, et en ayant fait présent au libraire[1] qui l’imprime, je n’ai songé à le faire imprimer en France que depuis que j’ai su qu’on désirait qu’il y parût avec privilège et approbation.

Ce livre est attendu ici avec plus de curiosité qu’il n’en mérite, parce que le public s’empresse de chercher à se moquer de l’auteur de la Henriade devenu physicien. Mais cette curiosité maligne du public servira encore à procurer un prompt débit à l’ouvrage, bon ou mauvais.

La première grâce que j’ai à vous demander, monsieur, est de me dire, en général, ce que vous pensez de cette Philosophie, et de me marquer les fautes que vous y aurez trouvées. J’ai un instinct qui me fait aimer le vrai ; mais je n’ai que l’instinct, et vos lumières le conduiront.

Vous trouvez que je m’explique assez clairement ; je suis comme les petits ruisseaux : ils sont transparents parce qu’ils sont peu profonds. J’ai tâché de présenter les idées de la manière dont elles sont entrées dans ma tête. Je me donne bien de la peine pour en épargner à nos Français, qui, généralement parlant, voudraient apprendre sans étudier.

Vous trouverez dans mon manuscrit quelques anecdotes semées parmi les épines de la physique. Je fais l’histoire de la science dont je parle, et c’est peut-être ce qui sera lu avec le moins de dégoût. Mais le détail des calculs me fatigue et m’embarrasse encore plus qu’il ne rebutera les lecteurs ordinaires. C’est pour ces cruels détails surtout que j’ai recours à votre tête algébrique et infatigable ; la mienne, poétique et malade, est fort empêchée à peser le soleil.

Si madame votre femme est accouchée d’un garçon, je vous en fais mon compliment. Ce sera un honnête homme et un philosophe de plus, car j’espère qu’il vous ressemblera[2].

Sans aucune cérémonie, je vous prie de compter sur ma reconnaissance autant que sur mon estime et mon amitié ; il serait indigne de la philosophie d’aller barbouiller nos lettres d’un votre très-humble, etc.

P. S. Vous vous moquez du monde de me remercier[3] comme

  1. Étienne Ledet.
  2. Le fils de M. Pitot est actuellement (1784) avocat général de la cour des aides de Montpellier. (K.)
  3. En octobre 1738, Voltaire prêta une autre somme d’argent (800 livres) à Pitot. (Cl.)