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751. À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Cirey, le 27 mai.

C’est sans doute un héros, c’est un sage, un grand homme
Oui fonda cet asile embelli par vos pas ;
Mais cet honneur n’est dû qu’aux vrais héros de Rome ;
Rémus ne le méritait pas.

Scipion l’Africain, bravant sa république,
En quittant un sénat trop ingrat envers lui,
Porta dans vos climats ce courage héroïque
Qui faisait trembler Rome, et qui fut son appui.

Cicéron dans l’exil y porta l’éloquence,
Ce grand art des Romains, cette auguste science
D’embellir la raison, de forcer les esprits.
Ovide y fit briller un art d’un plus grand prix.

L’art d’aimer, de le dire, et surtout l’art de plaire.
Tous trois vous ont formé, leur esprit vous éclaire :
Voilà les fondateurs de ces aimables lieux.
Vous suivez leur exemple, ils sont vos vrais aïeux.

La véritable Rome est cette heureuse enceinte
Où les plaisirs pour vous vont tous se signaler.
L’autre Rome est tombée, et n’est plus que la sainte :
Remusberg est la seule où je voudrais aller.

Voilà, monseigneur, ce que je pense du mont Rémus ; je suis destiné à avoir en tout des opinions fort différentes des moines. Vos doux antiquaires à capuchons[1], soi-disant envoyés par le pape pour voir si le frère de Romulus a fondé votre palais, devaient bien faire un saint de ce Rémus, n’en pouvant faire le fondateur de votre palais ; mais apparemment que Rémus aurait été aussi étonné de se voir en paradis qu’en Prusse.

On attend avec impatience, dans le petit paradis de Cirey, deux choses qui seront bien rares en France : le portrait d’un prince tel que vous, et M. de Keyserlingk, que Votre Altesse royale honore du nom de son ami intime.

Louis XIV disait un jour à un homme qui avait rendu de grands services au roi d’Espagne Charles II, et qui avait eu sa

  1. Voyez la lettre du 7 avril, n" 738.