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esquissé les principes[1] assez faciles de la philosophie de Newton ; Mme du Châtelet avait sa part à l´ouvrage : Minerve dictait, et j’écrivais. Je suis venu à Leyde travailler à rendre l’ouvrage moins indigne d’elle et de vous ; je suis venu à Amsterdam le faire imprimer et faire dessiner les planches. Cela durera tout l’hiver. Voilà mon histoire et mon occupation ; les bontés de Votre Altesse royale exigeaient cet aveu.

J’étais d’abord en Hollande sous un autre nom[2], pour éviter les visites, les nouvelles connaissances, et la perte du temps : mais les gazettes ayant débité des bruits injurieux semés par mes ennemis, j’ai pris sur-le-champ la résolution de les confondre, en les démentant et en me faisant connaître.

Je n’ai pas encore eu le temps de lire toute la Métaphysique dont vous avez daigné me faire présent ; le peu que j’en ai lu m’a paru une chaîne d’or qui va du ciel en terre. Il y a, à la vérité, des chaînons si déliés qu’on craint qu’ils ne se rompent ; mais il y a tant d’art à les avoir faits que je les admire, tout fragiles qu’ils peuvent être.

Je vois très-bien qu’on peut combattre l’espèce d’harmonie préétablie où M. Wolff veut venir, et qu’il y a bien des choses à dire contre son système ; mais il n’y a rien à dire contre sa vertu et contre son génie. Le taxer d’athéisme, d’immoralité, enfin le persécuter, me paraît absurde. Tous les théologiens de tous les pays, gens enivrés de chimères sacrées, ressemblent aux cardinaux qui condamnèrent Galilée. Ne voudraient-ils point brûler vif M. Wolff parce qu’il a plus d’esprit qu’eux ? Ange tutélaire de Wolff et de la raison, grand prince, génie vaste et facile, est-ce qu’un coup d’œil de vous n’impose pas silence aux sots ?

Dans les lettres que je reçois de Votre Altesse royale, parmi bien des traits de prince et de philosophe, je remarque celui où vous dites : Cæsar est supra grammaticam[3]. Cela est très-vrai : il sied très-bien à un prince de n’être pas puriste ; mais il ne sied pas d’écrire et d’orthographier comme une femme. Un prince doit en tout avoir reçu la meilleure éducation ; et de ce que Louis XIV ne savait rien, de ce qu’il ne savait pas même la langue de sa patrie, je conclus qu’il fut mal élevé. Il était né avec un esprit juste et sage ; mais on ne lui apprit qu’à danser et à jouer de la guitare. Il ne lut jamais ; et, s’il avait lu, s’il

  1. Les Éléments de la Philosophie de Newton, publiés par Ledet en 1738.
  2. Celui de Révol ; voyez la lettre 697.
  3. Voyez la lettre 700.