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c’est d’une manière qui vous est avantageuse : elle vous rend justice comme au plus grand homme de France, et comme à un mortel qui fait honneur à la parole.

Si jamais je vais en France, la première chose que je demanderai et ; sera : Où est M. de Voltaire ? Le roi, sa cour, Paris, Versailles, ni le sexe, ni les plaisirs, n’auront part à mon voyage ; ce sera vous seul. Souffrez que je vous livre encore un assaut au sujet du poëme de la Pucelle. Si vous avez assez de confiance en moi pour me croire incapable de trahir un homme que j’estime ; si vous me croyez honnête homme, vous ne me le refuserez pas. Ce caractère m’est trop précieux pour le violer de ma vie ; et ceux qui me connaissent savent que je ne suis ni indiscret ni imprudent.

Continuez, monsieur, à éclairer le monde. Le flambeau de la vérité ne pouvait être confié en de meilleures mains. Je vous admirerai de loin, ne renonçant cependant pas à la satisfaction de vous voir un jour. Vous me l’avez promis, et je me réserve de vous en faire ressouvenir à temps.

Comptez, monsieur, sur mon estime ; je ne la donne pas légèrement, et je ne la relire pas de même. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis à jamais, monsieur, votre très-affectionné ami,

Fédéric.

719. — À M. THIERIOT.
À Leyde, le 14 février.

Je reçois votre lettre du 7 février, mon cher ami. Je pars incessamment pour achever, à Cambridge[1], mon petit cours de newtonisme ; j’en reviendrai au mois de juin, et je veux qu’au mois de septembre vous et les vôtres soyez newtoniens. Si mon ouvrage n’est pas aussi clair qu’une fable de La Fontaine, il faut le jeter au feu. À quoi bon être philosophe, si on n’est pas entendu des gens d’esprit ?

J’ai vu l’ode[2] de Rousseau ; elle n’est pas plus mauvaise que ses trois Epitres.

Solve senescentem mature sanus equum…

(Hor., lib. I, ep. i, v. 8.)

Apollon lui a ôté le talent de la poésie, comme on dégrade un prêtre avant de le livrer au bras séculier. J’ai appris dans ce pays-ci des traits de son hypocrisie à mettre dans le Tartuffe. C’était un scélérat qui avait le vernis de l’esprit : le vernis s’en est allé, et le coquin est demeuré.

  1. C’est-à-dire à Cirey, où Voltaire, qui désirait qu’on le crût alors en Angleterre, retourna vers la fin de février 1737. (Cl.)
  2. L’Ode à la Paix, livre IV, ode viii. J.-B. Rousseau l’avait composée vers la fin de 1736, mais elle ne fut imprimée qu’au commencement de 1737.