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peu de monde, je tâche d’entendre Newton et de le faire entendre. Je me console, avec l’étude, de l’absence de mes amis. Il n’y a pas moyen de refondre à présent l’Enfant prodigue. Je pourrais bien travailler à une tragédie le matin, et à une comédie le soir ; mais passer en un jour de Newton à Thalie, je ne m’en sens pas la force.

Attendez le printemps, messieurs : la poésie servira son quartier ; mais à présent c’est le tour de la physique. Si je ne réussis pas avec Newton, je me consolerai bien vite avec vous. Mille tendres respects, je vous en prie, à monsieur votre frère. Je suis bien tenté d’écrire à Thalie[1] ; je vous prie de lui dire combien je l’aime, combien je l´estime. Adieu ; si je voulais dire à quel point je pousse ces sentiments-là pour vous, et y ajouter ceux de mon éternelle reconnaissance, je vous écrirais des in-folio de bénédictins.


713. — À. M. THIERIOT.
Le 28 janvier.

Mon cher ami, il faut s’armer de patience dans cette vie, et lâcher d’être aussi insensible aux traverses que nos cœurs sont ouverts aux charmes de l’amitié. Ce bon dévot de Rousseau fut informé, il y a un mois, que j’avais passé par Bruxelles : aussitôt sa vertu se ranima pour faire mettre dans trois ou quatre gazettes que je m’en allais en Prusse parce que j’étais chassé de France ; sa probité a même été jusqu’à écrire contre moi en Prusse. Voyant que Dieu ne bénissait pas ses pieuses intentions, et que j’étais tranquille à Leyde, où je travaillais à la Philosophie de Newton, il a recouru chrétiennement à une autre batterie. Il a semé le bruit que j’étais venu prêcher l’athéisme à Leyde, et que j’en serais chassé comme Descartes ; que j’avais eu une dispute publique avec le professeur S’Gravesande sur l’existence de Dieu, etc. Il a fait écrire cette belle nouvelle à Paris, par un moine défroqué[2] qui faisait autrefois un libelle hebdomadaire intitulé le Glaneur. Ce moine est chassé de la Haye, et est caché à Amsterdam. J’ai été bien vite informé de tout cela. Il se fait ici, parmi quelques malheureux réfugiés, un commerce de scandales et de mensonges à la main, qu’ils débitent chaque semaine dans tout le Nord pour de l’argent. On paye deux, trois cents, quatre cents forins par an à des nouvellistes obscurs de Paris.

  1. Mlle Quinault ; voyez la note, lettre 575.
  2. Voyez la note de la page précédente.