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667. — À M. BERGER.
Cirey, le 21 octobre.

Je reçois votre lettre du 11, mon aimable correspondant. Il faut absolument que vous me rendiez le service d’aller trouver le plus aimable philosophe qui soit en Europe : c’est M. de Mairan. Je lui demande pardon à genoux d’avoir confié son Mémoire[1] au petit Lamare, qui me promit, à mon départ, de l’aller rendre sur-le-champ. Ce n’est pas la seule fois qu’il a trompé ma confiance. Je l’avais chargé de porter plusieurs Alzire, il en fit un autre usage. Je lui pardonne tout, hors sa négligence pour M. de Mairan. Je recevrai avec résignation toutes les critiques[2] de M. d’Argental ; mais on ne peut pas toujours exécuter ce que nos amis nous conseillent. Il y a d’ailleurs des défauts nécessaires. Vous ne pouvez guérir un bossu de sa bosse qu’en lui ôtant la vie : mon enfant est bossu ; mais il se porte bien.

Je ne sais si les clameurs de ce monstre de Desfontaines font impression ; mais je sais que sa conduite avec moi est bien plus horrible que ses critiques ne peuvent être justes. On m’assure que le Desfontaines des poëtes, Rousseau, est chassé sans retour de chez le duc d’Aremberg. Je ne veux point d’autre vengeance de son libelle diffamatoire.

J’ai reçu une lettre de M. Pitot[3] dont je suis très-content. Je vous prie de le sonder pour savoir s’il serait d’humeur à revoir, à corriger un manuscrit[4] de philosophie, à rectifier les figures mal faites, et à conduire l’impression. Je doute qu’il en ait le temps, et je n’ose le lui proposer.

À l’égard de mon affaire[5] j’ai bien des choses à dire qui se réduisent à ceci. Je suis très-mécontent, et n’ai nulle envie de revenir à Paris. Mes compliments aux Thieriot et aux Rameau. Songez surtout qu’il n’est pas vrai que j’aie fait l’Enfant prodigue.

J’oubliais de vous dire que j’ai reçu les trois pièces de théâtre. Nous avons lu une scène de chacune, et nous avons jeté le tout au feu.

  1. Sur les Forces motrices.
  2. Sur l’Enfant prodigue.
  3. Henri Pitot, né à Aremont le 31 mai 1695, membre de l’Académie des sciences depuis 1724, mort le 27 décembre 1771.
  4. Celui des Éléments de Philosophie de Newton. Voyez la lettre du 17 mai 1737, à M. Pitot.
  5. Il s’agit des nouvelles persécutions dont le Mondain ne tarda pas à servir de prétexte contre Voltaire.