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Rufus[1] va cherchant des poisons,
Ta main délicate et légère
Cueille aux campagnes de Cythère
Des fleurs dignes de tes chansons.

Les Grâces accordent ta lyre ;
Le Plaisir mollement t’inspire,
Et tu t’inspires à ton tour.
Que ta muse tendre et badine
Se sent bien de son origine !
Elle est la fille de l’Amour.

Loin ce rimeur atrabilaire,
Ce cynique, ce plagiaire.
Qui, dans ses efforts odieux.
Fait servir à la calomnie,
À la rage, à l’ignominie,
Le language sacré des Dieux !

Sans doute les premiers poëtes,
Inspirés, ainsi que vous l’êtes.
Étaient des dieux ou des amants :
Tout a changé, tout dégénère,
Et dans l’art d’écrire et de plaire ;
Mais vous êtes des premiers temps.

Ah, monsieur ! votre charmante épître, vos vers, qui, comme vous, respirent les grâces, méritaient une autre réponse. Mais, s’il fallait vous envoyer des vers dignes de vous, je ne vous répondrais jamais ; vous me donnez en tout des exemples que je suis bien loin de suivre. Je fais mes efforts ; mais malheur à qui fait des efforts !

Votre souvenir, votre amitié pour moi, enchantent mon cœur autant que vos vers éveilleraient mon imagination. J’ose compter sur votre amitié. Il n’y a point de bonheur qui n’augmente par votre commerce. Pourquoi faut-il que je sois privé de ce commerce délicieux ! Ah ! si votre muse daignait avoir pour moi autant de bienveillance que de coquetterie, si vous daigniez m’écrire quelquefois, me parler de vos plaisirs, de vos succès dans le monde, de tout ce qui vous intéresse, que je défierais les Rousseau et les Desfontaines de troubler ma félicité !

Je vous envoie le Mondain. C’était à vous à le faire. J’y décris

  1. Ce mot désigne J.-B. Rousseau, et a été aussi employé par Voltaire dans l’Êpître sur la Calomnie.