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cendants des anciens Goths et des peuples vandales, les habitants des forêts d’Allemagne, savent rendre justice au mérite éclatant, à la vertu, et aux talents des grands hommes, de quelque nation qu’ils soient.

Je sais, monsieur, à quel chagrin je vous exposerais si j’avais l’indiscrétion de communiquer les ouvrages manuscrits que vous voudrez bien me confier. Reposez-vous, je vous supplie, sur mes engagements à ce sujet ; ma foi est inviolable.

Je respecte trop les liens de l’amitié pour vouloir vous arracher des bras d’Émilie. Il faudrait avoir le cœur dur et insensible pour exiger de vous un pareil sacrifice ; il faudrait n’avoir jamais connu la douceur qu’il y a d’être auprès des personnes que l’on aime, pour ne pas sentir la peine que vous causerait une telle séparation. Je n’exigerai de vous que de rendre mes hommages à ce prodige d’esprit et de connaissances. Que de pareilles femmes sont rares !

Soyez persuadé, monsieur, que je connais tout le prix de votre estime, mais que je me souviens en même temps d’une leçon que me donne la Henriade :

C’est un poids bien pesant qu’un nom trop tôt fameux.

(Ch. III, v. 41.)

Peu de personnes le soutiennent ; tous sont accablés sous le faix.

Il n’est point de bonheur que je ne vous souhaite, et aucun dont vous ne soyez digne. Cirey sera désormais mon Delphes, et vos lettres, que je vous prie de me continuer, mes oracles. Je suis, monsieur, avec une estime singulière, voire trés-affectionné ami.

Fédéric.

641. — À M. BERGER.
À Cirey, le 10 septembre.

Mon cher ami, vous êtes l’homme le plus exact et le plus essentiel que je connaisse ; c’est une louange qu’il faut toujours vous donner. Je suis également sensible à vos soins et à votre exactitude.

J’ai reçu une lettre[1] bien singulière du prince royal de Prusse. Je vous en enverrai une copie. Il m’écrit comme Julien écrivait à Libanius. C’est un prince philosophe ; c’est un homme, et, par conséquent, une chose bien rare. Il n’a que vingt-quatre ans ; il méprise le trône et les plaisirs, et n’aime que la science et la vertu. Il m’invite à le venir trouver ; mais je lui mande qu’on ne doit jamais quitter ses amis pour des princes, et je reste à Cirey. Si Gresset va à Berlin, apparemment qu’il aime moins ses amis que moi. J’ai envoyé à notre ami Thieriot la

  1. Voyez la lettre 629.