Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ce qu’ils prétendent, et sous le nom duquel en effet ils combattent les ennemis de leur fureur et de leur ambition. Cependant, a les entendre, ils prèchent l´humilité, vertu qu’ils n’ont jamais pratiquée, les ministres d’un Dieu de paix[1], qu’ils servent d’un cœur rempli de haine et d’ambition. Leur conduite, si peu conforme à leur morale, serait à mon gré seule capable de décrédiler leur doctrine.

Le caractère de la vérité est bien différent. Elle n’a besoin ni d’armes pour se defendre, ni de violence pour forcer les hommes à la croire : elle n’a qu’il paraître, et, des que sa lumière a dissipé les nuages qui la cachaient, son triomphe est assuré.

Voilà, je crois, des traits qui désignent assez les ecclésiastiques pour leur ôter, s’ils les connaissaient, l’envie de nous choisir pour leurs panégyristes. Je connais assez qu’ils n’ont que des défauts, ou plutôt des vices, pour me croire obligé en conscience à rendre justice à ceux d’entre eux qui la méritent. Despréaux, dans sa satire contre les femmes[2], a l´équité d’en excepter trois dans Paris, dont la vertu était si reconnue qu’elles étaient à l’abri de ses traits. À son exemple, je veux vous citer deux pasteurs, dans les États du roi mon père, qui aiment la vérité, qui sont philosophes, et dont l’intégrité et la candeur méritent qu’on ne les confonde pas dans la multitude. Je dois ce témoignage a la vertu de MM. Beausobre et Reinbeck[3].

Il y a un certain vulgaire, dans la même profession, qui ne vaut pas la peine qu’on descende jusqu’à s’instruire de ses disputes. Je leur laisse volontiers la liberté d’enseigner leur religion, et au peuple celle de la croire : car mon caractère n’est point de forcer personne, et ce même caractère, qui me rend le défenseur de la liberté, me fait haïr la persécution et les persécuteurs. Je ne puis voir, les bras croisés, l’innocence opprimée : il y aurait non de la douceur, mais de la lâcheté et de la timidité à le souffrir.

Je n’aurais jamais embrassé avec tant de chaleur la cause de M. Wolff, si je n’avais vu des hommes, qui pourtant se disent raisonnables, porter leur aveugle fureur jusqu’à se répandre en fiel et en amertume contre un philosophe qui ose penser librement, par la seule raison de la diversité de leurs sentiments et des siens : voilà l´unique motif de leur haine. Le même motif leur fait exalter la mémoire d’un scélérat, d’un perfide, d’un hypocrite, par cela seulement qu’il a pensé comme eux.

Je suis charmé de voir, monsieur, le témoignage que vous rendez aux quatre plus grands philosophes que l’Europe ait jamais portés. Leurs ouvrages sont des trésors de vérité : il est bien fâcheux qu’il s’y trouve des erreurs. La diversité de leurs sentiments sur la métaphysique nous fait voir l’incertitude de cette science, et les bornes étroites de notre entendement. Si Newton, si Leibnitz, si Locke, ces génies supérieurs, ces gens

  1. … Et se disent ministres d´un Dieu de paix, qu’ils servent, etc. (Variante des Œuvres posthumes.)
  2. Satire x, vers 44.
  3. Deux hommes qu’i méritent également le nom de célèbres. (Variante des Œuvres posthumes.)