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Je ne puis m´empècher d’admirer ce généreux caractère, cet amour du genre humain qui devrait vous mériter les suffrages de tous les peuples : j’ose même avancer qu’ils doivent autant et plus que les Grecs à Solon et à Lycurgue, ces sages législateurs dont les lois firent fleurir leur patrie, et furent le fondement d’une grandeur à laquelle la Grèce n’aurait jamais aspiré ni osé prétendre sans eux. Les auteurs sont les législateurs du genre humain[1] : leurs écrits se répandent dans toutes les parties du monde ; et, étant connus de tout l’univers, ils manifestent des idées dont les autres sont empreints. Ainsi vos ouvrages publient vos sentiments. Le charme de votre éloquence est leur moindre beauté ; tout ce que la force des pensées et le feu de l’expression peuvent produire d’achevé, quand ils sont réunis, s’y trouve. Ces véritables beautés charment vos lecteurs, elles les touchent : ainsi tout un monde respire bientôt cet amour du genre humain que votre heureuse impulsion a fait germer en lui. Vous formez de bons citoyens, des amis fidèles, et des sujets qui, abhorrant également la rébellion et la tyrannie, ne sont zélés que pour le bien public, enfin, c’est à vous que l’on doit toutes les vertus qui font la sûreté et le charme de la vie. Que ne vous doit-on pas !

Si l’Europe entière ne reconnaît pas cette vérité, elle n’en est pas moins vraie. Enfin, si toute la nature humaine n’a pas pour vous la reconnaissance que vous méritez, soyez du moins certain de la mienne. Regardez désormais mes actions comme le fruit de vos leçons. Je les ai enfin reçues, mon cœur en a été ému, et je me suis fait une loi inviolable de les suivre toute ma vie.

Je vois, monsieur, avec admiration, que vos connaissances ne se bornent pas aux seules sciences : vous avez approfondi les replis les plus cachés du cœur humain, et c’est là que vous avez puisé le conseil salutaire que vous me donnez en m’avertissant de me défier de moi-même. Je voudrais pouvoir me le répéter sans cesse, et je vous en remercie infiniment, monsieur.

C’est un déplorable effet de la fragilité humaine que les hommes ne se ressemblent pas à eux-mêmes tous les jours : souvent leurs résolutions se détruisent avec la même promptitude qu’ils les ont prises. Les Espagnols disent très-judicieusement : Cet homme a été brave un tel jour. Ne pourrait-on pas dire de même des grands hommes qu’ils ne le sont pas toujours, ni en tout ?

Si je dé-sire quelque chose avec ardeur, c’est d’avoir des gens savants et habiles autour de moi. Je ne crois pas que ce soient des soins perdus que ceux qu’on emploie à les attirer : c’est un hommage qui est dû à leur mérite, et c’est un aveu du besoin que l’on a d’être éclairé par leurs lumières.

Je ne puis revenir de mon étonnement quand je pense qu’une nation cultivée par les beaux-arts, secondée par le génie et par l’émulation d’une autre nation voisine ; quand je pense, dis-je, que cette même nation si polie

  1. Les auteurs sont, en un certain sens, des hommes publics. (Variante de l´édition de Berlin des Œuvres posthumes de Frédéric.)