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odes, les fées[1] : tout ce petit magasin d’esprit est apparemment demeuré en chemin. Par quelle route me m’avez-vous envoyé ? À quelle adresse ?

Tout ce que vous m’avez envoyé arriverait sûrement s’il était adressé au coche de Bar-sur-Aube, pour Cirey en Champagne. Joignez-y, je vous prie, cette Réponse aux Épîtres de Rousseau, cette Ménagerie, etc.

Le plus sûr et le plus court serait d’adresser les gros paquets à l’abbé Moussinot, cloître Saint-Merry : il les ferait mettre au coche.

Pardon, mon ami, d’écrire un si petit chiffon ; mais je me porte assez mal, et, si mes lettres sont si courtes, mes amitiés sont longues.

Avez-vous fait partir Alzire pour M. Sinetti ? Vale.


640. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Le 9 septembre.

Monsieur, c’est une épreuve bien difficile, pour un écolier en philosophie, que de recevoir des louanges d’un homme de votre mérite. L’amour-propre et la présomption, ces cruels tyrans de l’âme qui l’empoisonnent en la flattant, se croient autorisés par un philosophe, et, recevant des armes de vos mains, voudraient usurper sur ma raison un empire que je leur ai toujours disputé. Heureux si, en les convaincant et en mettant la philosophie en pratique, je puis répondre un jour à l’idée, peut-être trop avantageuse, que vous avez de moi !

Vous faites, monsieur, dans votre lettre[2], le portrait d’un prince accompli, auquel je ne me reconnais point. C’est une leçon habillée de la façon la plus ingénieuse et la plus obligeante ; c’est enfin un tour artificieux pour faire parvenir la timide vérité jusqu’aux oreilles d’un prince. Je me proposerai ce portrait pour modèle, et je ferai tous mes efforts pour me rendre le digne disciple d’un maître qui sait si divinement enseigner.

Je me sens déjà infiniment redevable à vos ouvrages ; c’est une source où l’on peut puiser les sentiments et les connaissances dignes des plus grands hommes. Ma vanité ne va pas jusqu’à m’arroger ce titre, et ce sera vous, monsieur, à qui j’en aurai l’obligation si j´y parviens ;

Et d’un peu de vertu si l’Europe me loue,
Je vous la dois, seigneur, il faut que je l’avoue.

(Henriade, ch. II, v. 109-110.)
  1. Comédie de Romagnési et Procope, jouée au Théâtre-Italien le 14 juillet 1736.
  2. Voyez la lettre 631.