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On pourra me faire encore cette objection : Quelle est la partie à qui Dieu aura donné la pensée ? Cette partie n’est-elle pas divisible pendant toute l’éternité ? N’est-il pas à croire qu’elle perdra toujours quelque chose d’elle-même ? Or, à quelle petite particule de cette petite partie restera le don de penser ? Si vous dites que c’est à la partie droite, je la divise et la retranche de son tout ; alors il arrivera nécessairement une de ces trois choses : ou il y aura deux êtres pensants au lieu d’un ; ou bien ni l’un ni l’autre ne sera pensant ; ou cet être, ayant perdu la moitié de soi-même, aura perdu la moitié de sa pensée ; ou Dieu donnera à la petite particule restante ce don de penser qu’avait auparavant toute la partie. Les trois cas sont absurdes : donc il est impossible que la pensée puisse subsister toujours avec la même matière. Je n’ai vu cet argument nulle part ; je me le fais à moi-même, et il me paraît assez pressant. Il sert à me faire voir la faiblesse de mes compréhensions, mais il ne me prouve point que Dieu ne puisse conserver à une petite partie de mon corps, pendant toute l’éternité, ce qu’il aura donné dans le temps de ma vie.

Il est sûr que si la matière, par le mouvement continuel où elle est, va toujours se divisant à l’infini, il est impossible d’imaginer comment une partie qui se divisera toujours, conservera toujours la pensée. Mais, premièrement, cette partie, à qui Dieu l’aura donnée, peut fort bien en elle-même demeurer un individu, comme notre corps en est un ; et en cela je n’apercevrais point de contradiction.

En second lieu, la matière n’est pas divisible à l’infini physiquement. Il est nécessaire qu’il y ait des parties parfaitement solides ; s’il n’y en avait pas, il n’y aurait point de matière. Car les pores des corps augmentent à mesure que les parties solides des corps diminuent ; ainsi les pores croissant à l’infini, et les parties solides diminuant à l’infini, le solide deviendrait zéro, et les pores infinis, etc. Donc il est nécessaire qu’il y ait des parties parfaitement solides ; donc il est aisé de concevoir qu’une de ces parties solides soit impérissable, et que Dieu lui communique à jamais la pensée et le sentiment.

Si tout était matière, dites-vous, d’où l’âme matérielle aurait-elle tiré l’idée d’un être immatériel ?

1° Dieu, qui nous donne nos idées, pourrait fort bien nous donner celle d’un être immatériel, d’un être essentiellement différent de nous, puisque, quand même nous serions purs esprits, nous ne laisserions pas d’avoir une idée de Dieu, qui cependant