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qu’il manque d’action, c’est que le théâtre est offusqué[1] par nos petits-maîtres ; et ce qui fait que les grands intérêts en sont bannis, c’est que notre nation ne les connaît point. La politique plaisait du temps de Corneille, parce qu’on était tout rempli des guerres de la Fronde ; mais aujourd’hui on ne va plus à ses pièces. Si vous aviez vu jouer la scène entière de Shakespeare, telle que je l’ai vue, et telle que je l’ai à peu près traduite, nos déclarations d’amour et nos confidentes vous paraîtraient de pauvres choses auprès. Vous devez connaître, à la manière dont j’insiste sur cet article, que je suis revenu à vous de bonne foi, et que mon cœur, sans fiel et sans rancune, se livre au plaisir de vous servir autant qu’à l’amour de la vérité. Donnez-moi donc des preuves de votre sensibilité et de la bonté de votre caractère. Écrivez-moi ce que vous pensez et ce que l’on pense sur les choses dont vous m’avez dit un mot dans votre dernière lettre. La pénitence que je vous impose est de m’écrire au long ce que vous croyez qu’il y ait à corriger dans mes ouvrages dont on prépare en Hollande une très-belle édition. Je veux avoir votre sentiment et celui de vos amis. Faites votre pénitence avec le zèle d’un homme bien converti, et songez que je mérite par mes sentiments, par ma franchise, par la vérité et la tendresse qui sont naturellement dans mon cœur, que vous vouliez goûter avec moi les douceurs de l’amitié et celles de la littérature.


525. — Á M. DE FORMONT.
À Cirey, 15 novembre.

Pourquoi vous rebuter d’un ouvrage si admirable, et auquel il manque si peu de chose pour être parfait ? Nous n’avons dans notre langue que cette seule traduction du plus beau monument de l’antiquité : car je compte pour rien toutes les mauvaises qu’on a faites.

Virgile, du sein du tombeau[2],
Vous dit-il pas, en son langage :
Il faut achever ton ouvrage,
Quand je t’ai prêté mon pinceau ?

Je viens d’apprendre que la Didon, qui a fait tant de fracas sur notre théâtre, est une espèce de traduction d’un opéra ita-

  1. Voyez, tome V, la dédicace à M. de Lauraguais, en tête de l’Écossaise.
  2. Voyez la lettre 509.