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gent et quelques livres, à votre choix : l’argent sera pour vous, et les livres pour moi. Seulement je voudrais que le pauvre abbé de Lamare pût avoir de cette affaire une légère gratification, que vous réglerez. Il est dans un triste état. Je l’aide autant que je peux ; mais je ne suis pas en état de faire beaucoup.

Mille tendres compliments à l’imagination forte et naïve de notre petit Bernard : il y a mille ans que je ne lui ai écrit. Mais savez-vous bien que je n’ai pas de temps, et que je suis aussi occupé qu’heureux ?

Vive memor nostri.


518. — Á M. L’ABBÉ ASSELIN.
À Cirey, 24 octobre.

M. Demoulin, monsieur, a dû vous remettre un papier qui contient la dernière scène de Jules César, telle que je l’ai traduite de Shakespeare, ancien auteur anglais. Je ne vous en donnai qu’une partie, parce que j’avais supprimé, pour votre théâtre, l’assassinat de Brutus. Je n’avais osé être ni Romain ni Anglais à Paris, Cette pièce n’a d’autre mérite que celui de faire voir le génie des Romains, et celui du théâtre d’Angleterre ; d’ailleurs, elle n’est ni dans nos mœurs, ni dans nos règles ; mais l’abbé Desfontaines aurait dû faire à cette étrangère les honneurs du pays un peu mieux. Il me semble que c’est enrichir la république des lettres que de faire connaître le goût de ses voisins ; et peut-on faire connaître les poètes autrement qu’en vers ? C’était là un beau champ pour l’abbé Desfontaines. Il est bien étonnant qu’il ait parlé de cet ouvrage comme s’il eût critiqué une pièce de notre théâtre. Vous lui ferez sans doute faire cette réflexion, si vous le voyez. J’ai beaucoup de sujets de me plaindre de lui, et j’en suis très-fâché, parce qu’il a du mérite. Je ne veux avoir de guerre littéraire avec personne ; ces petits débats rendent les lettres trop méprisables. L’abbé Desfontaines m’avertit que j’en vais soutenir une sur son théâtre, au sujet des ouvrages de Campistron. Il y a du temps qu’il l’a commencée, et bien injustement. Je proteste, en homme d’honneur, que je n’ai jamais rien écrit contre cet auteur, et que je n’ai jamais vu l’écrit dont l’abbé Desfontaines parle[1]. Faites-lui sentir, monsieur, combien il est odieux de me faire jouer, malgré moi, un personnage qui me déplaît, et de me mêler dans une querelle où je ne suis jamais

  1. Voir la lettre 216.