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léger procédé les services que je lui ai rendus. Il me doit tout ; et, pour unique reconnaissance, il ne cesse de me déchirer.

Savez-vous qu’on a imprimé une tragédie de César, composée de beaucoup de mes vers estropiés, et de quelques-uns d’un régent de rhétorique, le tout donné sous mon nom ? J’écrivis à l’abbé Desfontaines avec confiance, avec amitié, à ce sujet ; je le prie d’avertir, en deux mots, que l’ouvrage, tel qu’il est, n’est point de moi. Que fait mon abbé des Chauffours[1] ? Il broche, dans ses Malsemaines[2], une satire honnêtement impertinente, dans laquelle il dit que Brutus était un quaker, ignorant que les quakers sont les plus bénins des hommes, et qu’il ne leur est pas seulement permis de porter l’épée. Il ajoute qu’il est contre les bonnes mœurs de représenter l’assassinat de César ; et, après tout cela, il imprime ma lettre. Quels procédés il y a à essuyer de la part de nos prétendus beaux esprits ! Que de bassesses ! que de misères ! Ils déshonorent un métier divin. Consolez-moi par votre amitié et par votre commerce. Vous avez le solide des anciens philosophes et les grâces des modernes ; jugez de quel prix vos attentions seront pour moi. S’il y a quelque livre nouveau, qui vaille la peine d’être lu, je vous prie de m’en dire deux mots. Si vous faites quelque chose, je vous prie de m’en parler beaucoup.


516. — Á M. L’ABBÉ ASSELIN[3].
À Cirey, par Vassy, 4 octobre 1735.

Vous voyez, monsieur, ce qui arrive de cette impression malheureuse. Voyez si vous êtes intéressé à repousser la calomnie. Voilà l’abbé Desfontaines, un homme qui me doit tout, à qui j’ai sauvé l’honneur et la vie, que j’ai tiré de Bicêtre, dont j’ai fait suspendre le procès criminel, et qui, depuis ce temps-là, n’a jamais eu à se plaindre de moi ; voilà, dis-je, ce même homme qui dans ses feuilles ose dire que la tragédie que vous avez fait jouer est une pièce contre les bonnes mœurs !

Je m’étais adressé à lui pour le prier de faire connaître au

  1. Des Chauffours, gentilhomme lorrain, brûlé en place de Grève comme pédéraste. (Cl.)
  2. Nom que Voltaire donnait aux Observations que Desfontaines publiait, sous forme de Lettres, toutes les semaines. Même qualification fut donnée par lui aux feuilles de Fréron, qu’il désigne sous le nom de l’Homme aux semaines, dans la Pucelle, ch. XVIII, v. 167. Voyez aussi la lettre 215.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.