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fort faiblement traduit ; c’est lui enfin, qui, depuis ces services essentiels, n’a jamais reçu de moi que des politesses, et qui, pour toute reconnaissance, ne cesse de me déchirer. Il veut, dans les feuilles qu’il donne toutes les semaines, tourner la Henriade en ridicule. Savez-vous qu’il en a fait une édition[1] clandestine à Évreux, et qu’il y a mis des vers de sa façon ? C’était bien la meilleure manière de rendre l’ouvrage ridicule. Je vous avoue que ce continuel excès d’ingratitude est bien sensible. J’avais cru ne trouver dans les belles-lettres que de la douceur et de la tranquillité ; et, certainement, ce devait être leur partage ; mais je n’y ai rencontré que trouble et qu’amertume. Que dites-vous de l’auteur d’une brochure contre les Lettres philosophiques, qui commence par assurer que, non-seulement j’ai fait imprimer cet ouvrage en Angleterre, mais que j’ai trompé le libraire avec qui j’ai contracté ; moi, qui ai donné publiquement cet ouvrage à M. Thieriot, pour qu’il en eût seul tout le profit ? Peut-on m’accuser d’une bassesse si directement opposée à mes sentiments et à ma conduite ? Qu’on m’attaque comme auteur, je me tais ; mais qu’on veuille me faire passer pour un malhonnête homme, cette horreur m’arrache des larmes. Vous voyez avec quelle confiance je répands ma douleur dans votre sein. Je compte sur votre amitié autant que j’ambitionne votre estime.


514. — Á M. THIERIOT.
Cirey, le 4 octobre.

Je vous avoue, mon cher ami, que je suis indigné des brochures de l’abbé Desfontaines. C’est déjà le comble de l’ingratitude, dans lui, de prononcer mon nom, malgré moi, après les obligations qu’il m’a ; mais son acharnement à paver par des satires continuelles la vie et la liberté qu’il me doit est quelque chose d’incompréhensible. Je lui avais écrit pour le prier d’avertir le public, comme il est vrai, que la pièce de Jules César, telle quelle est imprimée, n’est point mon ouvrage. Au lieu de répondre, que fait-il ? Une critique, une satire infâme de ma pièce ; et, au bout de sa satire, il fait imprimer ma lettre, sans m’en avoir averti ; il joint à cet indigne procédé celui de mettre la date du lieu où je suis, et que je voulais qui fût ignoré du

  1. La Ligue ou Henry le Grand Par M. de Voltaire, avec des additions et un recueil de pièces diverses du même auteur. À Amsterdam (Évreux), Chez J.-F. Bernard, petit in-12 de viij et 196 pages. (B.)