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tion. Je ne compte plus sur des tragédies de sa façon ; je ne lui demande, à présent, que de savoir au moins un peu de latin, Hélas ! à propos de tragédie, je ne sais quel infâme a fait imprimer ma pièce de la Mort de César. Il est dur de voir ainsi mutiler ses enfants : cela crie vengeance. L’éditeur a plus massacré César que Brutus et Cassius n’ont jamais fait. Cependant ne doutez pas que le public malin ne me juge sur cette édition, et que les gens de lettres, grands calomniateurs de leur métier, ne disent que c’est moi qui ai fait clandestinement imprimer la pièce.

Le pays de la littérature me paraît actuellement inondé de brochures ; nous sommes dans l’automne du bon goût et au temps de la chute des feuilles. Le Pour et Contre est plus insipide que jamais, et les Obervations de l’abbé Desfontaines sont des outrages qu’il fait régulièrement une fois par semaine à la raison, à l’équité, à l’érudition, et au goût. Il est difficile de prendre un ton plus suffisant, et d’entendre plus mal ce qu’il loue et ce qu’il condamne. Ce pauvre homme, qui veut se donner pour entendre l’anglais, donne l’extrait d’un livre anglais[1] fait en faveur de la religion, comme d’un livre d’athéisme. Il n’y a pas une de ses feuilles qui ne fourmille de fautes. Je me repens bien de l’avoir tiré de Bicêtre, et de lui avoir sauvé la Grève. Il vaut mieux, après tout, brûler un prêtre que d’ennuyer le public. Oportet aliquem mori pro populo[2]. Si je l’avais laissé cuire, j’aurais épargné au public bien des sottises.

J’attends, depuis près d’un mois, le quatrième livre de lÈnèide, en vers français, de la façon de notre ami Formont ; on l’a mis dans un ballot de porcelaines que nous espérons recevoir incessamment. Son Épître sur la décadence du goût me donne grande opinion de sa traduction. Je ne sais si l’abbé du Resnel[3] a fini celle qu’il a entreprise de l’Essai de Pope sur l’Homme. Ce sont des épîtres morales en vers, qui sont la paraphrase de mes petites Remarques sur les Pensées de Pascal. Il prouve, en beaux vers, que la nature de l’homme a toujours été et toujours dû être ce qu’elle est. Je suis bien étonné qu’un prêtre normand ose traduire de ces vérités.

J’ai lu les Fêtes Indiennes, et très-indiennes[4] ; les Adieux de Mars[5],

  1. Voyez tome XXII, page 385.
  2. Jean, xviii, 14.
  3. Voyez la note sur la lettre 267.
  4. Les Indes galantes ; voyez la note sur la lettre 496.
  5. Comédie en un acte et en vers libres, par Lefranc de Pompignan, jouée sur le Théâtre-Italien, le 30 juin 1735.