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quelques Pères de l’Église ont conçu autrefois Dieu et les anges comme corporels. Mais on ne vous assure point que l’âme soit matérielle. On assure seulement qu’il très-possible à Dieu de l’avoir rendue telle ; et je ne vois pas qu’on puisse jamais prouver le contraire.

Pour deviner ce qu’elle est réellement, on ne peut avoir que des vraisemblances ; et la saine philosophie demande que, dans des questions où l’on n’a que de la vraisemblance à espérer, on ne se flatte point de démonstrations.

On dit donc : Il est très-vraisemblable que les bêtes ont du sentiment, et qu’elles n’ont point une âme spirituelle, telle qu’on l’attribue à l’homme. Nous avons tous de commun avec les bêtes, organes, nourriture, propagation, besoins, désirs, veille, repos, sentiment, idées simples, mémoire ; nous avons donc quelques principes communs qui opèrent tout cela en nous et en elles : car frustra fit per plura, quod potest ficri per pauciora.

Pourquoi notre supériorité ne consisterait-elle pas dans une faculté d’avoir et de combiner des idées, poussée beaucoup plus loin dans nous qu’elle ne l’est dans les animaux, et surtout dans l’immortalité que Dieu fait le partage des hommes, et n’a pas fait le partage des bêtes ?

Cette supériorité n’est-elle pas suffisante ? Et faut-il encore que notre orgueil nous empêche de voir tout ce que nous avons de conforme avec elles ? Je supplie qu’on lise, sur cette matière, le chapitre de l’Étendue des connaissances humaines de M. Locke, dernière édition de l’Essai sur l’Entendement humain. Si ce qu’a dit ce sage et modéré philosophe ne satisfait pas, rien ne satisfera.

Lorsqu’on a une fois expliqué les raisons sur lesquelles on a appuyé son sentiment, et qu’on a bien lu les raisons de son adversaire, si on ne change pas d’opinion, on doit au moins conserver toujours une disposition à se rendre à de nouvelles raisons quand on en sentira la force.

C’est, je vous jure, mon très-cher Père, la manière dont je me conduis ; j’ai cru fort longtemps qu’on ne pouvait prouver l’existence de Dieu que par des raisons a posteriori, parce que je n’avais pas encore appliqué mon esprit au peu de vérités métaphysiques que l’on peut démontrer.

La lecture de l’excellent livre du docteur Clarke m’a détrompé ; et j’ai trouvé dans ses démonstrations un jour que je n’avais pu recevoir d’ailleurs. C’est encore lui seul qui me donne des idées nettes sur la liberté de l’homme ; tous les autres écrivains n’avaient fait qu’embrouiller cette matière. Si jamais je trouve