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certainement essentiel à la matière) prouve bien encore que ni vous, ni vos amis, n’avez pas daigné lire, ou n’avez pas présentes à l’esprit les vérités enseignées par ce grand philosophe : car, encore une fois, il ne s’agit pas ici du mouvement ordinaire des corps, mais du principe inhérent dans la matière, qui fait que chaque partie de la matière est attirée et attire en raison directe de la masse, et en raison doublée et inverse de la distance. Ni M. Newton, ni aucun homme digne du nom de philosophe, n’ont dit que ce principe soit essentiel à la matière ; ils le regardent seulement comme une propriété donnée de Dieu à l’être si peu connu que nous nommons matière. Ce que vous dites, que le mouvement est une des preuves de l’existence de Dieu, ne fait encore rien au sujet ; à moins que ce ne soit un secret soupçon que vous ayez que ceux qui ont le mieux démontré la Divinité soient les indignes et abominables ennemis de Dieu, dont ils sont en effet les plus respectables interprètes ; mais je ne vous soupçonne pas d’une idée si injuste et si cruelle : vous êtes bien loin de ressembler à ceux qui accusent d’athéisme quiconque n’est pas de leur avis. Ayez la bonté maintenant de revenir à cette question : Dieu peut-il communiquer le don de la pensée à la matière, comme il lui communique l’attraction et le mouvement ? On répond hardiment que cela est impossible à Dieu, et on se fonde sur cette raison que celui qui juge aperçoit un objet indivisiblement : donc la pensée est indivisible, etc. ; et on appelle cela une démonstration ; ce n’est pourtant qu’un paralogisme bien visible, qui suppose ce qui est en question.

La question est de savoir si Dieu a le pouvoir de donner a un corps organisé la puissance d’apercevoir un morceau de pain et de sentir de l’appétit en le voyant ? Vous dites : « Non, Dieu ne le peut : car il faudrait que le corps organisé aperçût tout le pain ; or la partie A du pain ne frappe que la partie A du cerveau ; la partie B, que la partie B ; et nulle partie du cerveau ne peut recevoir tout l’objet. »

Voilà ce qu’assurément vous ne pourrez jamais prouver ; et vous ne trouverez aucun principe duquel vous puissiez tirer cette conclusion que Dieu n’a pu donner à un corps organisé la faculté de recevoir à la fois l’impression de tout un objet. Vous voyez que mille rayons de lumière viennent peindre un objet dans l’œil ; mais par quelle raison assurez-vous que Dieu ne peut imprimer dans le cerveau la faculté de sentir ce qui est sensible dans la matière ?

Vous avez beau dire : La matière est divisible ; ce n’est ni comme