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493. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 3 août, à Cirey, par Vassy.

Lorsque la divine Émilie
À l’ombre des bois entendit
Cette élégante bergerie[1]
Où l’ignorant Daphnis languit
Près de son innocente amie,
Où le dieu d’amour s’applaudit
De leur naïve sympathie,
Où des Jeux la troupe choisie
Danse avec eux, et leur sourit ;
Où, sans art, sans coquetterie.
Le sentiment règne, et bannit
Ce qu’on nomme galanterie ;
Où ce qu’on pense et ce qu’on dit
Est tendre sans afféterie :
Alors votre belle Émilie
Soupira tendrement, et dit :
« Si ces innocents, que conduit
La nature simple et sauvage.
Ont tant de tendresse en partage.
Que feront donc les gens d’esprit ? »

Vous voyez, mon cher Cideville, que la sublime Émilie a entendu et approuvé votre aimable ouvrage, et qu’elle juge que celui qui a mis tant de tendresse dans la bouche de ces amants ignorants doit avoir le cœur bien savant.

Nous sommes, M. Linant et moi, dans son château. Il ne tient qu’à elle d’enseigner le latin au précepteur, qui restituera au fils ce qu’il aura reçu de la mère. Nous apprendrons tous deux d’elle à penser. Il faut que nous mettions à profit un temps heureux. Je me flatte que Linant fera, sous ses yeux, quelque bonne tragédie, à moins qu’elle n’en veuille faire un géomètre et un métaphysicien. Il faudrait être universel pour être digne d’elle. Pour moi, je ne suis actuellement que son maçon.

Ma main peu juste, mais légère,
Tenait autrefois, tour à tour,
Ou le flageolet de l’Amour,
Ou la trompette de la guerre.

  1. L’opéra de Daphnis et Chloé, que Cideville a laissé imparfait. (Cl.)