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garde de parler de lui. J’ai toujours eu envie de faire une histoire du Siècle de Louis XIV ; mais celle de ce roi, sans son siècle, me paraîtrait assez insipide.

Le Père de La Bletterie, en écrivant la Vie de Julien, a fait un superstitieux de ce grand homme. Il a adopté les sots contes d’Ammien-Marcellin. Me dire que l’auteur des Césars était un païen bigot, c’est vouloir me persuader que Spinosa était bon catholique. La Bletterie devait prendre avec soi le peloton de M. de Saint-Aignan, et s’en servir pour se tirer du labyrinthe où il s’est engagé. Il n’appartient point à un prêtre d’écrire l’histoire ; il faut être désintéressé sur tout, et un prêtre ne l’est sur rien.

J’aimerais presque autant l’histoire des papillons[1] et des chenilles que M. de Réaumur nous donne, que l’histoire des hommes dont on nous ennuie tous les jours ; d’ailleurs je suis dans un pays où il y a bien moins d’hommes que de chenilles. Il y a longtemps que je n’ai rien vu qui ressemble à l’espèce humaine, et je commence à oublier ces animaux-là. Exceptez-en un très-petit nombre, à la tête desquels vous êtes, je ne fais pas grand cas de mes confrères les humains ; mais j’en use avec vous à peu près comme Dieu avec Sodome. Ce bon Dieu voulait pardonner à ces … là, s’il avait trouvé cinq[2] honnêtes gens dans le pays. Vous êtes assurément un de ces cinq ou six qui me font encore aimer la France. Cideville est de cette demi-douzaine ; il m’écrit toujours de jolie prose et de jolis vers.


467. — Á M. BERGER.
À Cirey, le 26 février 1735.

Je vous supplie, monsieur, sitôt la présente reçue, d’aller chez M. d’Argental. C’est l’ami le plus respectable et le plus tendre que j’aie jamais eu. Il fait toute ma consolation et toute mon espérance dans cette affaire, et sa vertu prend le parti de l’innocence contre l’homme le plus scélérat, le plus décrié, mais le plus dangereux qui soit dans Paris.

Comme il n’a pas toujours le temps de m’écrire, et que j’ai un besoin pressant d’être instruit à temps, de peur de faire de fausses démarches, et que d’ailleurs il demeure trop loin de la

  1. Mémoire pour servir à l’Histoire des Insectes, 6 volumes in-4o, de 1734 à 1742.
  2. La Genèse, xviii, 32, parle de dix justes.