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Platon a parlé. Les misères de la vie, philosophiquement parlant, ne prouvent pas plus la chute de l’homme que les misères d’un cheval de fiacre ne prouvent que les chevaux étaient tous autrefois gros et gras, et ne recevaient jamais de coups de fouet ; et que, depuis que l’un d’eux s’avisa de manger trop d’avoine, tous ses descendants furent condamnés à traîner des fiacres. Si la sainte Écriture me disait ce dernier fait, je le croirais ; mais il faudrait du moins m’avouer que j’aurais eu besoin de la sainte Écriture pour le croire, et que ma raison ne suffisait pas.

Qu’ai-je donc fait autre chose que de mettre la sainte Écriture au-dessus de la raison ? Je défie, encore une fois, qu’on me montre une proposition répréhensible dans mes réponses à Pascal.

Je vous prie de conférer sur cela avec vos amis, et de vouloir hien me mander si je m’aveugle.

Vous verrez bientôt Mme  du Châtelet. L’amitié dont elle m’honore ne s’est point démentie dans cette occasion. Son esprit est digne de vous et de M. de Maupertuis, et son cœur est digne de son esprit. Elle rend de bons offices à ses amis, avec la même vivacité qu’elle a appris les langues et la géométrie ; et, quand elle a rendu tous les services imaginables, elle croit n’avoir rien fait ; comme, avec son esprit et ses lumières, elle croit ne savoir rien, et ignore si elle a de l’esprit. Soyez-lui bien attachés, vous et M. de Maupertuis, et soyons toute notre vie ses admirateurs et ses amis. La cour n’est pas trop digne d’elle ; il lui faut des courtisans qui pensent comme vous. Je vous prie de lui dire à quel point je suis touché de ses bontés. Il y a quelque temps que je ne lui ai écrits et que je n’ai reçu de ses nouvelles ; mais je [1]

  1. La liaison de Voltaire avec Mme  du Chàtelet a duré seize ans ; et, lorsque des circonstances les ont momentanément séparés, leur correspondance était très-active. Voici ce que rapporte l’abbé de Voisenon (Œuvres, tome IV, page 181) :

    « Mme  la marquise du Châtelet avait huit volumes in-4o manuscrits et bien reliés des lettres qu’il (Voltaire) lui avait écrites. On n’imaginerait pas que, dans des lettres d’amour, on s’occupât d’une autre divinité que de celle dont on a le cœur plein, et qu’on fit plus d’épigrammes contre la religion que de madrigaux pour sa maîtresse. Voilà cependant ce qui arrivait à Voltaire. Mme  du Chàtelet n’avait rien de caché pour moi ; je restais souvent tête à tête avec elle jusqu’à cinq heures du matin ; et il n’y avait que l’amitié la plus vraie qui faisait les frais de nos veilles. Elle me disait quelquefois qu’elle était entièrement détachée de Voltaire. Je ne répondais rien : je tirais un des huit volumes, et je lisais quelques lettres ; je remarquais des yeux humides de larmes ; je refermais le livre promptement en disant : Vous n’êtes pas guérie. La dernière année de sa vie, je fis la même épreuve ; elle les critiquait : je fus convaincu que la cure était faite. Elle me confia que Saint-Lambert avait été son médecin. Elle partit pour la Lorraine, où elle mourut (10 septembre 1749). Voltaire, inquiet de ne pas trouver ces lettres,