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Lorsqu’il me tomba entre les mains, il y a quelques années, des feuilles et des épreuves de cette édition supprimée dont il a été soupçonné, il y avait des fautes considérables dont je me souviens, et j’ai retrouvé ces mêmes fautes dans les exemplaires qu’on a débités à Paris,

Y a-t-il une apparence plus forte, et n’étais-je pas bien en droit de le soupçonner ? Cependant j’apprends qu’on ne le croit pas coupable, et qu’il est en liberté. J’apprends, en même temps, qu’il a eu avec moi un procédé bien contraire au mien. Dans le temps qu’il était en prison, je ne cessais d’écrire aux magistrats et aux ministres pour les assurer de son innocence ; et lui, au contraire, a dit au lieutenant de police que c’était moi-même qui avais fait faire cette édition qu’on a débitée. Sur sa déposition on a été tout renverser dans ma maison à Paris ; on a saisi une petite armoire où étaient mes papiers et toute ma fortune, on l’a portée chez le lieutenant de police ; elle s’est ouverte en chemin, et tout a été au pillage.

Je pardonne à Jore de tout mon cœur tout ce qu’il a pu dire, et ce qui m’a attiré cette cruelle visite. Je crois qu’étant bien persuadé, comme il l’était, que je n’avais nulle part à cette édition, il a prévu que la visite qu’on ferait chez moi ne servirait qu′à ma justification : et c’est ce qui est arrivé.

Pour lui, s’il est vrai qu’il soit associé avec quelque personne des pays étrangers, et qu’ils aient en effet une édition de ce livre, laquelle n’ait point encore paru, je l’en félicite de tout mon cœur, car il est sûr que son édition sera la meilleure, et que, tôt ou tard, il trouvera bien le moyen de s’en défaire avec avantage. On vient de saisir à Paris une presse à laquelle on travaillait à réimprimer cet ouvrage ; cette presse était chez un particulier. Le libraire qui devait débiter cette édition nouvelle est connu[1], et, je crois, arrêté. Cette découverte fera deux biens : elle servira, en premier lieu, à justifier Jore, et pourra même faire découvrir l’imprimeur de l’édition débitée dans Paris ; en second lieu, elle intimidera les autres libraires, qui n’oseront pas se charger d’imprimer le livre, et alors, s’il arrivait que Jore eût des exemplaires des pays étrangers ou autrement, il y gagnerait considérablement : ainsi, de façon ou d’autre, il ne peut se plaindre, car s’il a une édition, il la débitera ; s’il n’en a point, il ne perd rien.

  1. René Josse, voyez tome XXII, page 77. Il était cousin de J.-Fr. Josse, à qui est adressée a lettre 310.