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rendre en diligence à Auxonne ; tout ce qui était à Monjeu m’a envoyé vite en Lorraine[1]. J’ai, de plus, une aversion mortelle pour la prison ; je suis malade ; un air enfermé m’aurait tué ; on m’aurait peut-être fourré dans un cachot. Ce qui m’a fait croire que les ordres étaient durs, c’est que la maréchaussée était en campagne.

Ne pourriez-vous point savoir si le garde des sceaux a toujours la rage de vouloir faire périr, à Auxonne, un homme qui a la fièvre et la dyssenterie, et qui est dans un désert ? Qu’il m’y laisse, c’est tout ce que je lui demande, et qu’il ne m’envie pas l’air de la campagne. Adieu ; je serai toute ma vie pénétré de la plus tendre reconnaissance. Je vous serai attaché comme vous méritez qu’on vous aime.


405. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 8 mai.

Votre protégé Jore m’a perdu. Il n’y avait pas encore un mois qu’il m’avait juré que rien ne paraîtrait, qu’il ne ferait jamais rien que de mon consentement : je lui avais prêté 1,500 francs dans cette espérance ; cependant à peine suis-je à quatre-vingts lieues de Paris que j’apprends qu’on débite publiquement une édition de cet ouvrage, avec mon nom à la tête, et avec la Lettre sur Pascal. J’écris à Paris, je vais chercher mon homme, point de nouvelles. Enfin il vient chez moi, et parle à Demoulin, mais d’une façon à se faire croire coupable. Dans cet intervalle on me mande que si je ne veux pas être perdu, il faut remettre sur-le-champ l’édition à M. Rouillé. Que faire dans cette circonstance ? Irai-je être le délateur de quelqu’un ? et puis-je remettre un dépôt que je n’ai pas ?

Je prends le parti d’écrire à Jore, le 2 mai, que je ne veux être ni son délateur ni son complice ; que, s’il veut se sauver et moi aussi, il faut qu’il remette entre les mains de Demoulin ce qu’il pourra trouver d’exemplaires, et apaiser au plus vite le garde des sceaux par ce sacrifice. Cependant il part une lettre de cachet le 4 mai ; je suis obligé de me cacher et de fuir ; je tombe malade en chemin ; voilà mon état : voici le remède.

Ce remède est dans votre amitié. Vous pouvez engager la femme de Jore à sacrifier cinq cents exemplaires ; ils ont assez

  1. Peut-être au château de Loisey, près de la route de Bar-le-Duc à Ligny, chez le chevalier du Châtelet, ou, plus probablement, à Cirey-le-Château, tout près de la Lorraine, mais en Champagne. (Cl.)