Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui parlent haut dans les cafés devant des gens plus ignorants qu’eux, disaient que j’avais tort sur Newton, dont ils ne connaissaient que le nom ; que les jansénistes m’appelaient moliniste ; que les dévots disaient que je suis un athée, parce que je me suis moqué des quakers, et que les indignes ennemis qu’un peu de réputation m’a attirés[1] ne parlaient que de lettres de cachet pour se venger de ce que mon livre leur a peut-être fait trop de plaisir, et leur a appris quelque chose. Vous pouvez compter que mon seul embarras est de savoir pour qui de tous ces animaux raisonneurs j’ai le plus grand mépris ; mais je ne suis point embarrassé de vous dire que je suis beaucoup plus touché de votre amitié que de leurs criailleries. Je compte entretenir un commerce fort exact avec votre ami M. Sinetti, et être en France son correspondant, si pourtant je reste en France.

Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles, et aimez un peu votre ami.


404. — Á M. LE COMTE D’ARGENTAL[2].
Mai.

On dit qu’après avoir été mon patron, vous allez être mon juge, et qu’on dénonce à votre sénat ces Lettres anglaises, comme

  1. Voyez la troisième phrase de la lettre 416.
  2. Charles-Augustin de Ferriol, comte d’Argental, fils d’Augustin de Ferriol, seigneur de Pont-de-Veyle, en Bresse, et d’Argental, en Forez, mort président honoraire au parlement de Metz, en 1737, et de Marie-Angélique Guérin de Tencin, sœur aînée du cardinal et de la fameuse religieuse connue sous ce dernier nom, naquit le 20 décembre 1700, trois ans après son frère, le comte de Pont-de-Veyle, avec lequel, vers 1707, il fut mis au collège des jésuites, autrement dit de Louis-le-Grand, où le jeune Arouet étudiait alors.

    Le cardinal de Tencin étant le père de Mlle de L’Espinasse, et Mme de Tencin ayant donné le jour à d’Alembert, on peut donc regarder en quelque sorte ces deux enfants de l’amour comme les cousins germains de d’Argental.


    Ce dernier, nommé conseiller en la quatrième chambre des enquêtes du parlement de Paris, au commencement de 1721, eut occasion de connaître, chez sa tante, ce que la capitale offrait de plus distingué en femmes aimables et en gens de lettres. À l’amitié qu’il portait au plus remarquable de ses condisciples se joignit bientôt l’admiration duc à l’auteur d’Œdipe et de la Henriade ; et, s’il conçut une passion violente pour Mlle Lecouvreur, qu’il songea même à épouser, leur amitié de collège, qui a duré soixante-dix ans, sans le moindre nuage, ne s’en refroidit aucunement. Ils recueillirent tous deux le dernier soupir de la belle, spirituelle et généreuse actrice, le 20 mars 1730.


    Quelques années plus tard, c’est-à-dire en octobre 1737, d’Argental se maria à Mlle du Bouchet. Voyez la lettre que Voltaire adressa à son ami, le 2 novembre suivant.


    En 1738, il fut nommé à l’intendance de Saint-Domingue ; mais, cédant aux instances de ses amis, il n’accepta pas ces lointaines fonctions. Fait conseiller