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garde des sceaux que les raisonneurs : il ne prend point du tout cette affaire-ci en philosophe ; il se fâche en ministre, et, qui pis est, en ministre prévenu et trompé. On lui a fait entendre que c’est moi qui débite cette édition, tandis que je n’ai épargné, depuis un an, ni soins ni argent pour la supprimer. J’étais bien loin assurément de la vouloir donner au public ; il me suffisait de votre approbation. Mme du Chàtelet et vous, ne me valez-vous pas le public ? D’ailleurs, aurais-je eu, je vous prie, l’impertinence de mettre mon nom à la tête de l’ouvrage ? Y aurais-je ajouté la Lettre sur Pascal, que j’avais fait supprimer, même à Londres ?

Savez-vous bien que j’ai fait prodigieusement grâce à ce, Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse s’expliquer honnêtement de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n’en ai rien dit, et l’on crie. Mais laissez-moi faire ; quand je serai une fois à Bâle, je ne serai pas si prudent. En attendant, je vous prie de faire connaître la vérité à vos amis. Il me sera plus glorieux d’être défendu par vous qu’il n’est triste d’être persécuté par les sots.

Je vous demande pardon d’avoir mis tant de paroles dans ma lettre ; mais, quand on écrit en présence de Mme du Chàtelet, on ne peut pas recueillir son esprit fort aisément.

Adieu ; vous savez le respect que mon esprit a pour le vôtre. Écrivez-moi, ou pour m’apprendre quelques nouvelles de ces Lettres, ou pour me consoler. Je vous suis tendrement attaché pour la vie, comme si j’étais digne de votre commerce.


402. — Á M. DE MONCRIF.
À Monjeu, par Autun, ce 6 mai[1].

Je compte sur votre amitié, mon cher et aimable Moncrif. Voici une belle occasion pour vous. On me calomnie, on m’accable, on me déchire. Jamais vous n’aurez plus de mérite à me défendre. Les dévots me damnent ; les sots me critiquent ; les politiques me parlent de lettres de cachet : le tout, pour avoir dit des vérités fort innocentes. Le juste est toujours persécuté, mon cher ami ; mais ces épreuves servent à faire valoir le zèle des vrais élus. Vous êtes de ces élus ; votre royaume, qui mieux est, est de ce monde, et vous avez le don de plaire dans la société comme sur le Parnasse. Mettez en usage ce talent que vous avez de per-

  1. Voltaire partit le même jour de Monjeu.