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396. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce mercredi, 7 avril.

Mon cher ami, je pars pour être témoin d’un mariage que je viens de faire. J’avais mis dans ma tête, il y a longtemps, de marier M. le duc de Richelieu à Mlle  de Guise. J’ai conduit cette affaire comme une intrigue de comédie ; le dénoûment va se faire à Monjeu, auprès d’Autun. Les poètes sont plus dans l’usage de faire des épithalames que des contrats ; cependant j’ai fait le contrat, et, probablement, je ne ferai point de vers[1]. Vous savez ce que dit Mme  de Murât :

Mais, quand l’hymen est fait, c’est en vain qu’on réclame
Le dieu des vers et les neuf doctes sœurs ;
C’est le sort des amours, et celui des auteurs,
D’échouer à l’épithalame.

('L’Heureuse Peine, conte.)

Je pars dans une heure, mon aimable Cideville ; j’envoie devant tragédie, opéra, versiculets, et totam nugarum supellectilem..

C’est pour le coup que je vais travailler à vous faire transcrire tout ce que je vous dois. Formont vient de m’écrire une lettre où je reconnais sa raison saine et son goût délicat. Messieurs les Normands, vous avez bien de l’esprit. L’abbé du Resnel, autre Normand, traducteur de Pope, homme qui sait penser, sentir, et écrire, est ou doit être à Rouen ; je lui ai dit que mon cher Cideville y était ; il le verra, et il en pensera comme moi. C’est un admirateur et un ami de plus que vous allez acquérir l’un et l’autre, en faisant connaissance.

Je n’ai pas perdu toute espérance sur Linant. Je ne crois pas que Linant ait jamais un talent supérieur ; mais je crois qu’il sera un ignorant inutile aux autres et à lui-même ; plein de goût et d’esprit, sans imagination, il n’a rien de ce qu’il faut ni pour briller ni pour faire fortune. Il a la sorte d’esprit qui convient à un homme qui aurait vingt mille livres de rente. Voilà de quoi je le plains, mais de quoi je ne lui parle jamais. J’ai été mécontent de lui, mais je ne l’ai dit qu’à vous et à M. de Formont.

Adieu ; je vous aime avec tendresse. Je pars. Valete curæ. V.

  1. Voltaire, quelques jours plus tard, composa un épithalame, qui est dans les Êpîtres, tome X, page 289. Voyez encore une autre pièce adressée au duc de Richelieu, Sur son mariage, tome XXXII, page 401.