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corps de la fable, sont les seules qui puissent plaire, parce qu’elles-mêmes peignent chemin faisant ; et tout, en poésie, doit être peinture.

Il y a une foule de beaux vers que vous pouvez conserver. Tout est diamant brillant dans votre ouvrage. Un peu d’arrangement rendra la garniture charmante. Je voudrais avoir avec vous une conversation d’une heure seulement ; je suis persuadé qu’en m’instruisant avec vous, et en vous communiquant mes doutes, nous éclaircirions plus de choses que je ne vous en embrouillerais dans vingt lettres. J’entrerais avec vous dans tous les détails ; je vous prierais d’en faire autant pour notre Adélaïde ; vous m’encourageriez à réchauffer et à ennoblir le caractère de Nemours, à mettre plus de dignité dans les amours des deux frères, et à corriger bien des mauvais vers.

J’ai adopté toutes vos critiques ; j’ai refait tous les vers que vous avez bien voulu reprendre. Quand pourrai-je donc m’entretenir avec vous, à loisir, de ces études charmantes qui nous occupent tous deux si agréablement ? Il me semble que nous sommes deux amants condamnés à faire l’amour de loin. Savez-vous bien que, pendant ma maladie, j’ai fait[1] l’opéra de Samson pour Rameau ? Je vous promets de vous envoyer celui-là, car j’ai l’amour-propre d’en être content, au moins pour la singularité dont il est.

Linant renonce enfin au théâtre ; il quitte l’habit avant d’avoir achevé le noviciat. Que deviendra-t-il ? Pourquoi avoir pris un habit d’homme, et quitté le petit collet ? Quel métier fera-t-il ? Vale.


384. — Á M. DE CIDEVILLE.
Le 27 décembre.

Mon aimable Cideville, les c… vous occupent, je le crois bien ; ce n’est qu’un rendu. Vous êtes bien heureux de songer au plaisir au milieu des sacs, et de vous délasser de la chicane avec l’amour. Pour moi, je suis bien malade depuis quinze jours ; je suis mort au plaisir ; si je vis encore un peu, c’est pour vous et pour les lettres. Elles sont pour moi ce que les belles sont pour vous : elles sont ma consolation et le soulagement de mes douleurs. Ne me dites point que je travaille trop ; ces travaux sont

  1. Ce mot est celui qu’on lit dans l’original ; mais le mot refait, que portent toutes les éditions, était plus convenable, puisque Voltaire cite son opéra de Samson dans sa lettre du 1er décembre 1731, à Thieriot. (Cl.)