Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non, tu ne me dois rien ; dans tes fers arrêté,
J’attends tout de toi seul, et n’ai rien mérité.
Te servir en esclave est ma grandeur suprême ;
C’est moi qui te dois tout, puisque c’est moi qui t’aime.
Tyran que j’idolâtre, et que rien ne fléchit,
Cruel objet des pleurs dont mon orgueil rougit,
Oui, tu tiens dans tes mains les destins de ma vie.
Mes sentiments, ma gloire, et mon ignominie.
Ne fais point succéder ma haine à mes douleurs.
Toutes les passions sont en moi des fureurs.
Dans mes soumissions crains-moi, crains ma colère[1].

Il y a encore bien d’autres endroits changés, et bien des corrections envoyées aux comédiens, depuis que je vous ai fait tenir la pièce. Pour le fond, il est toujours le même : on ne peut élever de nouveaux fondements comme on peut changer une antichambre et un cabinet, et toutes les beautés de détail sont des ornements presque perdus au théâtre. Le succès est dans le sujet même. Si le sujet n’est pas intéressant, les vers de Virgile et de Racine, les éclairs et les raisonnements de Corneille, ne feraient pas réussir l’ouvrage. Tous mes amis m’assurent que la pièce est touchante ; mais je consulterai toujours votre cœur et votre esprit, de préférence à tout le monde : c’est à eux à me parler ; il n’y a point de vérité qui puisse déplaire quand c’est vous qui la dites.

Souffrez aussi, mon cher ami, que je vous dise, avec cette même franchise que j’attends de vous, que je ne suis pas aussi content du fond de votre Allégorie et de la tissure de l’ouvrage que je le suis des beaux vers qui y sont répandus. Votre but est de prouver qu’on se trouve bien, dans la vieillesse, d’avoir fait provision dans son printemps, et qu’il faut, à vingt ans, songer à habiller l’homme de cinquante. La longue description des âges de l’homme est donc inutile à ce but. Pourquoi étendre en tant de vers ce qu’Horace et Despréaux ont dit en dix ou douze lignes connues de tout le monde ? Mais, direz-vous, je présente cette idée sous des images neuves. À cela je vous répondrai que cette image n’est ni naturelle, ni aimable, ni vraisemblable. Pourquoi cette montagne ? Pourquoi fera-t-il plus chaud au milieu qu’au bas ? Pourquoi différents climats dans une montagne ? Pourquoi se trouve-t-on tout d’un coup au sommet ? Une allégorie ne doit

  1. Ces vers ne se lisent plus dans Adélaïde ; ils sont dans les variantes du second acte, et même avec quelques différences.