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Je viens d’écrire à M. de Sade cette petite guenille :

Vous suivez donc les étendards
De Bellone et de l’Hyménée ;
Vous vous enrôlez cette année
Et sous Carman et sous Villars[1].
Le doyen des héros, une beauté novice,
Vont vous occuper tour à tour.
Et vous nous apprendrez un jour
Quel est le plus rude service
Ou de Villars ou de l’Amour.

Ceci n’est bon que pour votre trinité indulgente[2]. Je vous destinais des vers un peu plus ampoulés : c’est une nouvelle édition de la Henriade. J’ai remis entre les mains de M. Malijac un petit paquet contenant une Henriade pour vous, et une pour M. de Caumont. Je vous remercie de tout mon cœur de m’avoir procuré l’honneur et l’agrément de son commerce ; mais c’est à lui que je dois à présent m’adresser, pour ne pas perdre le vôtre. Il semble que vous ayez voulu vous défaire de moi pour me donner à M. de Caumont, comme on donne sa vieille maîtresse à son ami. Je veux lui plaire, mais je vous ferai toujours des coquetteries. Je ne lui ai pas pu envoyer les Lettres en anglais, parce que je n’en ai qu’un exemplaire, ni en français, parce que je ne veux point être brûlé sitôt.

Comment ! M. de Caumont sait aussi l’anglais ! Vous devriez bien l’apprendre. Vous l’apprendrez sûrement, car Mme  du Châtelet l’a appris en quinze jours. Elle traduit déjà tout courant ; elle n’a eu que cinq leçons d’un maître irlandais. En vérité, Mme  du Châtelet est un prodige, et on est bien neuf à notre cour.

  1. Variante. Avec Carman, avec Villars. (Copie faisant partie des collections de la reine Ulrique, n° 47 du catalogue de la bibliothèque de Drottningholm. Lettres et Poésies inédites de Voltaire, Paris, Cabinet du bibliophile, 1872.)
  2. Ils étaient trois frères, le comte, le chevalier, et l’abbé (voyez nos 361 et 369). Voici la réponse du comte aux vers de Voltaire :

    « Ami, je suis les étendards
    De Bellone et de l′Hyménée.
    Si je quitte une épouse aimée,
    C’est pour voir triompher Villars.
    Mars et l’Amour me trouveront novice,
    Et je m’instruirai tour à tour,
    Avec Villars, des rigueurs du service.
    Avec Carman, des douceurs de l’amour.

    « Vous voyez, mon cher ami, que quand on me fournit la rime et la pensée, je fais des vers tant que l’on veut. »