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Mais il t’a prodigué, dans son style enchanteur,
Tous les éloges qu’il mérite. »

Quelle faible réponse, mon aimable ami, à votre charmante églogue, et que j’ai de remords de vous payer si tard et si mal ! N’accusez point ma paresse ; mon cœur surtout n’est point paresseux ; mais vous savez que ma détestable santé me met quelquefois dans l’impuissance de penser et d’écrire : cela met dans ma vie des vides effroyables. Il faut quelquefois que je demeure plusieurs jours privé de la consolation des belles-lettres et de la douceur de votre commerce. Moi qui voudrais, vous le savez bien, passer ma vie entre ces lettres et vous, faut-il que je ne la passe presque qu’en regrets ! L’abbé Linant, ou plutôt Linant qui n’est plus abbé, vient d’arriver, toujours rempli de vous. Il lui faudra du temps pour reprendre l’habitude de la vie inquiète et tumultueuse de Paris, après avoir joui d’une si douce tranquillité auprès de vous. Il est bien mal logé chez moi ; mais ce n’est pas ma faute, c’est la sienne. Il a trouvé, en arrivant, un compagnon que je lui ai donné, et dont je crois qu’il sera content. C’est un jeune homme nommé Lefebvre[1], qui fait aussi des vers harmonieux, et qui est né, comme Linant, poëte et pauvre. Je voudrais bien que ma fortune fût assez honnête pour leur rendre la vie plus agréable ; mais, n’ayant point de richesses à leur faire partager, ils daignent partager ma pauvreté. Je ne suis pas comme la plupart de nos Parisiens ; j’aime mieux avoir des amis que du superflu ; et je préfère un homme de lettres à un bon cuisinier et à deux chevaux de carrosse. On en a toujours assez pour les autres quand on sait se borner pour soi. Rien n’est si aisé que d’avoir du superflu. Voilà une morale que monsieur le marquis[2] ne goûtera pas, mais qui est sûrement de votre goût.

À l’heure que je vous parle, mes deux amis sont à la Comédie, à une pièce nouvelle d’un nommé La Chaussée, intitulée la Fausse Antipathie[3]. Ce titre a l’air de Marivaux ; mais Marivaux ne fait pas de vers, et La Chaussée en fait de très-bons, du moins dans le genre didactique. Ce n’est pas un bon préjugé pour le genre de la comédie.

J’assistai hier à la première représentation d′Hippolyte et Ari-

  1. Voyez la note sur la lettre 283.
  2. Le marquis de La Motte-Lézeau.
  3. Comédie jouée le 2 octobre 1733. La Chaussée a un article dans le Siècle de Louis XIV : voyez tome XIV, page 111.