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que je pourrais passer entre vous deux. À Paris, on ne se voit jamais qu’en passant. Ce n’est que dans les villes où la bonne compagnie est moins dissipée et plus rassemblée qu’on peut jouir du commerce des gens qui pensent. Ce ne serait pas des muscats et du thon que je viendrais chercher : j’achèterais votre conversation et la sienne de tous les raisins du monde. Mais vous m’avouerez qu’il serait plaisant que l’auteur de la Henriade et des Lettres anglaises vînt chercher un asile dans les terres du saint-père. Je crois qu’au moins il me faudrait un passeport.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec l’estime la plus vive et la plus respectueuse reconnaissance, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Voltaire.

365. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 26 septembre.

J’aime fort Linant pour vous et pour lui ; mais, à parler sérieusement, il n’est pas bien sûr encore qu’il ait un de ces talents marqués sans qui la poésie est un bien méchant métier ; il serait bien malheureux s’il n’avait qu’un peu de génie avec beaucoup de paresse. Exhortez-le à travailler et à s’instruire des choses qui pourront lui être utiles, quelque parti qu’il embrasse. Il voulait être précepteur, et à peine sait-il le latin. Si vous l’aimez, mon cher Cideville, prenez garde de gâter par trop de louanges et de caresses un jeune homme qui, parmi ses besoins, doit compter le besoin qu’il a de travailler beaucoup, et de mettre à profit un temps qu’il ne retrouvera plus. S’il avait du bien, je lui donnerais d’autres conseils, ou, plutôt, je ne lui en donnerais point du tout ; mais il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce. Vale, amice


366. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 2 octobre.

L’autre jour l’Amitié, d’un air simple et facile.
Vint m’apporter des vers écrits en ma faveur :
« Ils sont, tu le vois bien, du charmant Cideville,
Dit-elle, et tu connais l’air tendre et séducteur
Dont cet ingénieux pasteur
Par ses accents nouveaux à son gré ressuscite
Les sons du doux Virgile et ceux de Théocrite ;