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Mais vous allez courir à Avignon ; Émilie est toujours à la cour, et cette divine abeille va porter son miel aux bourdons de Versailles. Pour moi, je reste presque toujours dans ma solitude, entre la poésie et la philosopbie.

Je connais fort M. de Caumont[1] de réputation, et c’en est assez pour l’aimer. Si je peux me flatter de votre suffrage et du sien,

Sublimi feriam sidéra vertice.

(Hor., liv. I, od. i.)

Adieu. Le papier me manque. Vale.


362. — Á M. JACOB VERNET[2],
à genève.
Paris, 14 septembre.

Votre conversation, monsieur, me fit extrêmement désirer d’avoir avec vous un commerce suivi. Je vois avec une satisfaction extrême que vous n’êtes pas de ces voyageurs qui visitent en passant les gens de lettres, comme on va voir des statues et des tableaux, pour satisfaire une curiosité passagère. Vous me faites sentir tout le prix de votre correspondance, et je vous dis déjà, sans aucun compliment, que vous avez en moi un ami : car sur quoi l’amitié peut-elle être fondée, si ce n’est sur l’estime et sur le rapport des goûts et des sentiments ? Vous m’avez paru un philosophe pensant librement et parlant sagement ; vous méprisez d’ailleurs ce style efféminé, plein d’afféterie et vide de choses, dont les frivoles auteurs de notre Académie française ont énervé notre langue. Vous aimez le vrai, et le style mâle, qui seul appartient au vrai. Puis-je, avec cela, ne pas vous aimer ? C’est pour le style impertinent, dont la France est inondée aujourd’hui, qu’il ne faut point d’indulgence : car on ramène les hommes au bon sens sur ces bagatelles. Mais, en fait de religion, nous avons, je crois, vous et moi, de la tolérance, parce qu’on ne ramène ja-

  1. Joseph de Seitres, marquis de Caumont, né le 30 juin 1688 ; correspondant honoraire de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres ; mort à Avignon, le 25 septembre 1745. (Cl.)
  2. Jacob Vernet, né à Genève en 1698, mort le 26 mars 1789. Étant à Paris en 1725, lors du miracle de Mlle  Lafosse (Voyez t. XV, p. 61), il publia trois écrits à ce sujet. Il se brouilla, en 1757, avec Voltaire, qui ne le ménagea pas. Voyez, entre autres pièces, tome X, la satire intitulée l’Hypocrisie (année 1767) ; tome XXIV, page 134, le second des Dialogues chrétiens ; et tome XXV, page 491, la Lettre curieuse de M. Robert Covelle (année 1766). On a parlé de Vernet dans les notes, tomes XII, page 303, et XXIV, page 86.