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On a déjà enlevé, à Londres, la traduction anglaise de mes Lettres[1]. C’est une chose assez plaisante que la copie paraisse avant l’original : j’ai heureusement arrêté l’impression du manuscrit français, craignant beaucoup plus le clergé de la cour de France que l’Église anglicane.

Vous me demandez l’Épître à Émilie ; mais vous savez bien que c’est à la divinité même, et non à l’un de ses prêtres, qu’il faut vous adresser, et que je ne peux rien faire sans ses ordres. Vous devez croire qu’il est impossible de lui désobéir. Vous avez bien raison de dire que vous auriez voulu passer votre vie auprès d’elle. Il est vrai qu’elle aime un peu le monde.

Cette belle âme est une étoffe
Qu’elle brode en mille façons ;
Son esprit est très-philosophe,
Et son cœur aime les pompons.

Mais les pompons et le monde sont de son âge, et son mérite est au-dessus de son âge, de son sexe, et du nôtre.

J’avouerai qu’elle est tyrannique :
Il faut, pour lui faire sa cour,
Lui parler de métaphysique
Quand on voudrait parler d’amour ;

mais moi, qui aime assez la métaphysique, et qui préfère l’amitié d’Émilie à tout le reste, je n’ai aucune peine à me contenir dans mes bornes.

Ovide autrefois fut mon maître,
C’est à Locke aujourd’hui de l’être.
L’art de penser est consolant,
Quand on renonce à l’art de plaire.
Ce sont deux beaux métiers vraiment,
Mais où je ne profitai guère.

J’aurais du moins fait quelque profit dans l’art de penser, entre Émilie et vous ; j’aurais été l’admirateur de tous deux ; je n’aurais jamais été jaloux des préférences que vous méritez. J’aurais dit de sa maison, comme Horace de celle de Mécène :

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Ni mi officit unquam,
Ditior hic, aut est quia doctior ; est locus uni-
Cuique suus.

(Liv. I, sat. ix, v. 50.)
  1. Les Lettres philosophiques.